20 févr.
2009
La Poétesse de Liliane Giraudon par Éric Houser
Parvenir à créer un personnage, lui découper des habits, le faire se mouvoir à l'extérieur de soi, dans un mouvement qui soit à la fois de prise et de déprise, une sorte de cruauté légère. Composer une impossible biographie, y revenir sans cesse comme à ce métier que nomme le titre de Pavese. Voilà ce qui me vient d'abord à la lecture de La Poétesse, tout en me disant que ce n'est pas adéquat, ce n'est pas ça. Le mot biographie, par exemple : déplacé. Ecrire une homobiographie (qui de titre-nom propre en 2000 est devenu genre-nom commun, sauf que c'est un genre trouble), ce n'est pas écrire sa biographie. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'éléments biographiques dans cette écriture. Elle en est au contraire saturée, mais c'est la saturation qui justement déplace, comme un all over en lutte contre la belle forme, la toujours politiquement correcte belle forme. Le biographique, oui, mais comme du pulsionnel à l'œuvre.
C'est pourquoi je n'ai pas très envie de parler de dispositif à propos du livre de Liliane Giraudon. Dont pourtant il me faut reconnaître que l'agencement en trois morceaux (« Ma chérie je t'ai fait des phrases trouvées partout » ; Kara Walker n'est pas Joséphine Baker ; Le goût du crabe) fait sens, spatialement, fait livre. C'est comme un triptyque, dont le panneau central, susceptible d'être recouvert (caché) par ses deux volets latéraux, est précisément constitué d'une suite de poèmes (de 1 à 47) : ce que l'on attend de « La Poétesse ». La Poétesse écrit des poèmes, mais elle écrit comme elle dessine, et dessine comme elle écrit. Elle écridessine (comment conjugue-t-on écriredessiner ?). Le volet gauche est un journal, sur deux colonnes, une notation plutôt sèche et très vivante. Il se lit rapidement et avec un grand plaisir, parce que c'est vif et enlevé, impression dominante malgré l'évocation d'événements douloureux (la mort des parents). Le volet droit est, je trouve, bouleversant. Pas seulement parce qu'il y est question d'une confrontation avec la maladie, avec sa propre mort cette fois, mais aussi parce que c'est une réflexion sur l'écriture, sur ce que c'est qu'écrire. Il y a, entre ces trois morceaux, une intense circulation. Je crois qu'elle est due à une certaine position dans l'écriture, proche de quelque chose de très tactile, de plus tactile et de plus sensuel que l'écriture : dessiner c'est être avant le sens ou au-delà du sens (au sens sémantique), c'est être d'emblée dans un espace plus libre, dont les coordonnées sont à chercher. Le mot tactile figure d'ailleurs dans un des poèmes (1), une deux tactile dansable. Le mot ductile m'est aussi venu, après tactile (en raison d'une proximité phonique peut-être). J'aime découvrir, pour ce mot, le sens de malléable ou influençable, avec dans le dictionnaire une citation d'Artaud (« un état religieux de la tête où les sensations sont devenues telles et si ductiles qu'elles sont bonnes à visiter par l'Esprit »). Liliane Giraudon, une femme sous influence (cf. Mes bien-aimé(e)s).
Je n'ai pas très envie de parler plus du « contenu » de La Poétesse : comment parler du contenu de dessins ? Je préférerais reproduire certaines phrases, au hasard : quoi que tu fasses fais autre chose ; « Il N'Y A D'EXPLOSION QUE LE LIVRE » ; pour voir les choses il faut les regarder comme si elles étaient parfaitement dénuées de sens ; la littérature demeure dans sa fonction vitale ; elle persiste dans sa fonction dissociative ; (l'incarnation ne se séparant pas de l'arrachement) ; mais alors écrire ne serait qu'une manière spéciale de vivre ?
C'est pourquoi je n'ai pas très envie de parler de dispositif à propos du livre de Liliane Giraudon. Dont pourtant il me faut reconnaître que l'agencement en trois morceaux (« Ma chérie je t'ai fait des phrases trouvées partout » ; Kara Walker n'est pas Joséphine Baker ; Le goût du crabe) fait sens, spatialement, fait livre. C'est comme un triptyque, dont le panneau central, susceptible d'être recouvert (caché) par ses deux volets latéraux, est précisément constitué d'une suite de poèmes (de 1 à 47) : ce que l'on attend de « La Poétesse ». La Poétesse écrit des poèmes, mais elle écrit comme elle dessine, et dessine comme elle écrit. Elle écridessine (comment conjugue-t-on écriredessiner ?). Le volet gauche est un journal, sur deux colonnes, une notation plutôt sèche et très vivante. Il se lit rapidement et avec un grand plaisir, parce que c'est vif et enlevé, impression dominante malgré l'évocation d'événements douloureux (la mort des parents). Le volet droit est, je trouve, bouleversant. Pas seulement parce qu'il y est question d'une confrontation avec la maladie, avec sa propre mort cette fois, mais aussi parce que c'est une réflexion sur l'écriture, sur ce que c'est qu'écrire. Il y a, entre ces trois morceaux, une intense circulation. Je crois qu'elle est due à une certaine position dans l'écriture, proche de quelque chose de très tactile, de plus tactile et de plus sensuel que l'écriture : dessiner c'est être avant le sens ou au-delà du sens (au sens sémantique), c'est être d'emblée dans un espace plus libre, dont les coordonnées sont à chercher. Le mot tactile figure d'ailleurs dans un des poèmes (1), une deux tactile dansable. Le mot ductile m'est aussi venu, après tactile (en raison d'une proximité phonique peut-être). J'aime découvrir, pour ce mot, le sens de malléable ou influençable, avec dans le dictionnaire une citation d'Artaud (« un état religieux de la tête où les sensations sont devenues telles et si ductiles qu'elles sont bonnes à visiter par l'Esprit »). Liliane Giraudon, une femme sous influence (cf. Mes bien-aimé(e)s).
Je n'ai pas très envie de parler plus du « contenu » de La Poétesse : comment parler du contenu de dessins ? Je préférerais reproduire certaines phrases, au hasard : quoi que tu fasses fais autre chose ; « Il N'Y A D'EXPLOSION QUE LE LIVRE » ; pour voir les choses il faut les regarder comme si elles étaient parfaitement dénuées de sens ; la littérature demeure dans sa fonction vitale ; elle persiste dans sa fonction dissociative ; (l'incarnation ne se séparant pas de l'arrachement) ; mais alors écrire ne serait qu'une manière spéciale de vivre ?