La poule pond de Michel Ohl par Jacques Barbaut
« Écrivain en trois lettres »
Réunissant en un seul volume le dernier recueil (posthume) de Michel Ohl, La poule pond — « la plus belle phrase de France », que je crus d’abord créée tout exprès pour Christophe Tarkos —, et la première plaquette éditée du même, Sonica mon lapin (1972, chez José Millas-Martin), ce livre, préfacé par Jean-Pierre Ohl, qui est une collecte de fragments, accueille des aphorismes, tendance Lichtenberg plutôt que Wittengstein, des renversements de style palindromique (Ohl, Elle a chaud) et des paradoxes sacrément contournés (Peu de maximes sont fausses à tous égards), abat des cartes (21 juin. Pensé, donc été ou Mon cocoricogito : je pense, donc je suis français !), invente des formules que n’aurait pas désavouées Maurice Roche (FUT. N’EST. BRRR), des homophonies (Ohl hideux mord / au lit de mort), produit des pataphysicals babies, des calembours, des façons d’« ouïr » (le concours entre absolumentaux, toutàfaitistes, O.K.yeurs et affirmatifosi, pour l’obtention du Oui-dad’or entendu […] Tout est toc et tout est O.K.) qu’il est préférable, voire nécessaire, de proférer à haute voix, élabore des serments d’ivrogne et autres alcoolodépendances (Ce qui me séduit dans la fallacieuse alcoolomanie, c’est son côté à la fois irrémédiable et puéril), des lettres ou instructions d’avant suicide, dites « dernières volontés », des chanson(nette)s à boire ou de métier, des mini contes à la manière d’Alphonse Allais et des calculs (Observer une minute de silence par mort est impossible, il meurt quatre hommes par seconde…) ultra précis (le compte des « Monte-Cristo » dans le Comte de Monte-Cristo), des conseils et pensées profondes (Si tu te demandes pourquoi tu es toi et non moi, pense : « Si j’étais lui et s’il était moi cela reviendrait exactement au même… de toute façon il faut bien être quelqu’un ! »), des contrepèteries…
— bref, ça passe ou ça casse.
Il serait bon que j’écrivisse à reculons.
Plus on est de fous, plus c’est normal.
Pour exprimer ce sentiment d’incongruité, d’improbabilité, de désorientation (A trop lu Rigaut, s’autocommentait-il) que provoque la lecture de cet écrivain natif d’Onesse-et-Laharie (Landes), Gascon et gascophone, qui fut indifférent à toutes les modes littéraires, champion dans l’art de la digression à tiroirs, grand buveur devant l’Eternel, adoubé par Joseph Kessel (« votre livre donne des clefs de brume, de venin et d’or »), voici ce qu’en écrivit justement Pierre Zielgelmeyer : « … tourné le coin de la première ligne, c’est le palais des erreurs, le royaume de la trompe dans l’œil, le domaine des contes de fées repaysagé par des jardiniers de cauchemar ».
Et pour finir j’hésite entre point point final et point tu
(C’est l’excipit de La poule pond.)
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Notez, benêt : la collection « La petite vermillon » des mêmes éditions de La Table Ronde propose une anthologie (ou « bonnes feuilles », choisies par Jean-Pierre Ohl et Dominique Noguez), préfacée par Eric Dussert (« Il faut savoir que par pur altruisme Michel Ohl a intégré le groupe des imaginatifs débordants sans le moindre commentaire »), sous le titre Petites scènes de la vie en papier.