La sphinge mange cru de Liliane Giraudon par Éric Houser
Le Rouge et le Noir (et Sophocle, bien sûr)
Il n'y a pas d'original ; le texte lu est l'œuvre des copistes.
(Liliane Giraudon)
Dédicacé à José Lapeyrère, disparue il y a bientôt 6 ans (tous ceux qui l’ont connue et aimée ont une pensée pour elle, à partir de cette dédicace), le dernier livre de Liliane Giraudon se présente sous une jacquette rouge et un titre noir. Ce sont les couleurs de l’anarchie, du drapeau (de l’un des drapeaux) de l’anarchie. Anarchie, ça veut dire littéralement, non pas pas de loi, mais pas de chef. Car comme le voyait très bien Antonin Artaud, le pouvoir (politique, culturel...) n’est pas une entité abstraite, il s’incarne dans des gens (policier, magistrat, directeur ou directrice d’institution). Le poète « subit les choses du monde et les dit à travers lui » (citation de Georges Oppen en ouverture), et on lira ce livre (et les précédents livres de LG) avec ces mots-là en tête et dans le cœur : subir, et à travers. Moi j’entends subir d’abord comme être affecté.e. Et à travers, comme se laisser affecter. Les phrases de Liliane Giraudon, ce sont comme des petites caisses de résonance. Ce sont des titres, des titres qui cognent. Ils s’accumulent, comme tels, dans une banque, dont les coffres sont à l’opposé de ceux des vraies banques d’argent. Car il s’agit toujours plus, au fil des livres écrits et des interventions multiples, de les faire sauter, ces coffres. Ni thésaurus ni trésors, ou alors, flamboyants, explosifs. Rouges et noirs. Liliane Giraudon est une banquière anarchiste.
(Je n’avais pas envie de parler du contenu. Le contenu, il est à l’extérieur. C’est vous, ce sont vos dires : « Une parole qui s’inventera de la pratique même de la vie » ; « Les choses se suffisent » ; « Quand le soir tombe, le cœur se serre » ; « Un autre jour il découvre que la bourgeoisie n’est pas une classe sociale mais une maladie » (Pasolini) ; « Nous y voilà »).