Le Coran, Jésus et le Judaïsme par Éric Houser
Les compléments
Un livre sur la religion (sur les religions) sur Sitaudis ? Que se passe-t-il, Pierre Le Pillouër ? Si j’avais à justifier ma proposition de recension d’un tel livre (d’une partie seulement de ce livre, parce que je connais depuis longtemps l’auteur et que je n’ai pas encore eu le temps de lire le reste) sur le site, je ne dirais qu’une chose : qu’importe l’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon. Ici, j’ai volontairement choisi de n’évoquer que le chapitre médian d’un livre paru en 2004, mais dont l’actualité (l’actualité politique) me paraît évidente, vu ce que nous vivons actuellement en France et ailleurs.
Sous un titre explicite, « Pour un cantique à trois voix. Chacun des trois monothéismes peut-il reconnaître la légitimité des deux autres ? », Alain Houziaux, qui fut pasteur à l’Église Réformée de France (aujourd’hui devenue « Église Protestante Unie de France »), propose une construction très séduisante pour penser le rapport entre judaïsme, christianisme et islam, à la fois dans son actualité et dans son historicité. Banal ? Pas tant que ça. Jusqu’alors, m’intéressant à cette question, je n’avais eu entre les mains que des ouvrages finalement plutôt dogmatiques, issus surtout du milieu (cultivé) catholique (des ouvrages apologétiques, au fond). Ici, nous avons affaire à autre chose. L’auteur est certes « estampillé », le lieu d’où il parle est bien identifié (assez clairement rattaché au protestantisme libéral), mais il s’autorise à envisager cette question d’une manière originale et personnelle. Qui a l’air, à première vue, très simple voire schématique, mais qui est en réalité très argumentée, à la fois sur le plan historique et sur le plan théologique. La cohérence, vertu de toute apologétique, est conservée, mais au profit d’une vision ouverte et décrispée du thème traité. La thèse principale de ce chapitre est la suivante : les trois monothéismes, judaïsme, christianisme et islam, « ont des vocations complémentaires et également nécessaires ».
Ce qui pourrait paraître d’abord comme l’effet d’un œcuménisme monothéiste mou, une facilité, est au contraire (à la lecture de ce texte dont on sent bien que, écrit dans un style ramassé, presque géométrique, que je trouve très beau – deuxième raison de l’accroche à Sitaudis -, il est le fruit d’une élaboration lente, fouillée et documentée) une construction qui a valeur heuristique. Admettons avec Étienne Klein (physicien, professeur de physique et de philosophie des sciences à l’École Centrale de Paris, auteur de Eurêka ! D’où viennent les idées (scientifiques)) que « l’imaginaire des scientifiques joue un rôle fondamental, notamment en période de crise, quand la raison elle-même perd pied ». J’ajouterais : l’imaginaire des théologiens et des philosophes tout court. Quant à la scission entre le judaïsme et le christianisme, « ma thèse (écrit Alain Houziaux) tient en une phrase : le christianisme, c’est le judaïsme pour les non-juifs ». Et quant à l’articulation entre l’islam d’une part, le judaïsme et le christianisme d’autre part, « la thèse que nous voulons (...) défendre, c’est celle-ci : tout comme le christianisme peut être considéré comme un judaïsme pour les non-juifs, l’islam peut être considéré comme un judéo-christianisme pour les non-juifs et les non-chrétiens. Et l’on aura compris que, pour nous, c’est là une manière tout à fait positive de le légitimer ». Le texte n’assène pas ces thèses, il les argumente sur le plan historique et théologique, et je dirais aussi, socio-politique (beaucoup de références en notes). L’auteur est du reste bien conscient que ce sont des propositions, destinées à réfléchir et à se parler, avant tout. « Le christianisme n’a pas à se considérer comme la seule et unique religion grâce à laquelle l’infini du Dieu universel et unique peut être découvert. Dieu peut être découvert dans un vers de Victor Hugo ou une phrase de Simone Weil, et aussi dans une autre religion, celle d’un Égyptien du IIe millénaire avant notre ère ou celle d’un Papou du XXIe siècle ».Personnellement, étant le père (chrétien) d’un fils converti à l’islam (l’islam libéral : ça existe !) qui est né d’une mère de culture juive, ce texte me touche beaucoup et me fait du bien.