Noël Arnaud, chef d'orchestre de l'Oulipo de Marc Lapprand et Christophe Reig par Jacques Barbaut
• Noël Arnaud à Luc Étienne (11 janvier 1980) :
« Ce volume [Atlas de littérature potentielle, 1981], comme le précédent, a toutes chances de servir de manuel pour les exercices de langue auxquels des enseignants inviteront nos chères têtes blondes de 10 à 12 ans, et les Oulipiens ne voudraient pas contribuer à la corruption des mœurs. […]
Nous avons quelques exemples de palindromes syllabiques, mais aucun de palindrome bilingue ; nous avons deux exemples de palindromes de mots, mais pas d’exemple de palindrome de phrase. Ton texte sur l’intrication chiasmatique, bien que je n’en soupçonne rien, serait vraisemblablement une nouveauté utile, enfin il serait bon que tu nous donnes quelque chose sur l’amplification par insertions successives, et une place reste libre pour les autres espèces de palindromes. »
• Noël Arnaud à Marcel Bénabou (19 novembre 1984)
« Enfin, on doit encore une fois s’interroger sur les manifestations publiques de l’Oulipo. N’en abusons-nous pas ? Les choisissons-nous toujours à bon escient ? Ne nous laissons-nous pas entraîner à nous exhiber devant n’importe qui ? De là aussi viennent peut-être certaines interprétations inexactes de la vocation de l’Oulipo ? N’oublions pas que l’Oulipo a été fondé pour proposer des structures ou contraintes aux écrivains qui désireraient s’en servir, ce qui est tout différent d’un Oulipo école d’apprentissage de l’écriture. L’Oulipo s’est bâti sur une conception foncièrement élitiste il serait bon de s’en souvenir. »
• Noël Arnaud à Stanley Chapman (14 mars 1991) :
« En tant que président de l’Oulipo, je suis – statutairement – président de tous les ou-x-po présents et à venir. Il s’agit évidemment d’une présidence théorique, voire abstraite, en ce sens que chaque ou-x-po agit de manière autonome et est autorisé à trouver en son sein un président effectif s’il en éprouve le besoin. En ma qualité de président des ou-x-po aussi bien qu’à titre personnel, je me réjouis d’avance de la création de l’Outrapo, Ouvroir de tragédies potentielles (il y aurait à examiner si le pluriel est nécessaire). »
Pour contribuer à l’histoire d’un groupe littéraire que l’on ne présente plus, ces trois extraits significatifs de lettres de Noël Arnaud — membre fondateur (présent dès la deuxième réunion du groupe, le 19 décembre 1960, selon Jacques Bens, secrétaire des débuts), puis président (successeur de François Le Lionnais) de 1984 à 2003, auteur des Souvenirs d’un vieil Oulipien (B.O., n° 12) — à trois membres dudit Ouvroir, lettres (autographes ou dactylographiées, bristols ou cartes postales, les deux dernières étant des « imeilles ») reçues ou envoyées, choisies pour la plupart parmi une immense correspondance archivée dans quelque cinquante cartons (BNF/bibliothèque de l’Arsenal), occupées notamment par la défense de l’orthodoxie oulipienne, garante de sa pérennité.
Où l’on entrevoit comment ce maître de cérémonie — veillant d’une baguette débonnaire à maintenir l’harmonie, la cohésion et l’esprit initial du groupe, attentif à l’internationalisation et à la diffusion des travaux, soucieux aussi de la joyeuse coordination des oulipotes et du bon accueil des nouveaux cooptés —, organisateur de colloques, d’oulipiades, de conclaves, ordonnateur de manifestations, initiateur d’exégèses et d’assises, éditeur des recueils, encourage la naissance, la constitution, la production des manifestes fondateurs des Ou-X-Po : ouvroirs de cuisine (Oucuipo), de tragicomédie (Outrapo), de bande dessinée (Oubapo), de musique (Oumupo), de marionnettique (Oumapo) potentielles.
Où il est questions des hétéroclites (le marquis de Bièvre, Vincent-Alexis-Charles Berbiguier de Terre-Neuve du Thym), de logique booléenne, d’informatique à fiches perforées ou à bandes magnétiques, de contraintes molles ou dures, du clinamen, de littérature combinatoire et de littérature illettrée, des paralittératures, du « rat du dernier bateau linguistico-ricardolien », de l’optophone de Raoul Hausmann, d’un opéra lipogrammatique et autres sonnets à sornettes.
Un autre aperçu (Noël Arnaud à François le Lionnais, 18 avril 1971), pour son sel :
« Cette phrase, surgie du fond de ma mémoire et que je me répète chaque jour avec une intense jubilation, je ne sais plus du tout quel en est l’auteur. Et toi ?
Et voyant le lit vide, il le devint. »
(La réponse est en page 57.)