Peste soit de l'horoscope et autres poèmes de Samuel Beckett par Éric Houser
Lorsque vous consultez l’Index des noms propres et titres d’ouvrages dans l’ensemble des séminaires de Jacques Lacan (E.P.E.L. 1998), vous vous apercevez que James Joyce a droit à vingt-trois occurrences, Samuel Beckett seulement à trois. Et l’on sait par ailleurs que le livre XXIII du séminaire (Le sinthome), sur lequel beaucoup se sont cassé les dents (avec jouissance), est quasi le monument du Français à l’Irlandais.
Voilà ce qui explique sans doute que le succès « psychanalytique » de Joyce soit bien assis, alors que celui de Beckett reste à asseoir. Voilà ce qui désole, aussi, quant à la créativité des psychanalystes lacaniens[1] dès lors que leur maître et seigneur n’a pas jugé qu’un auteur (Beckett) pouvait être digne d’intérêt, au regard même de la discipline qu’il fécondait[2]…
Pour ma part, j’ai toujours choisi Beckett, dont la fécondité pour mes contemporains me semble autrement plus vive que celle de Joyce ! Et je partage le jugement provoquant de Jacques Roubaud sur Finnegans Wake (« un gros pâté lexical » – je cite de mémoire).
Avec ce mince recueil de poèmes qui étaient restés inédits en français, nous en avons la preuve. Ainsi que l’écrit Edith Fournier, nous avons là, en condensé, un remarquable exemple de l’évolution du style de Beckett en poésie, passé d’un baroquisme hyper-lettré et exubérant (citation 1) à l’extrême dépouillement de la fin (citation 2).
Le dernier poème, de 1976, d’une justesse et d’une condensation parfaite, me paraît une excellente illustration des catégories du « self » de Daniel Stern, « psychanalyste et éthologue de l’enfance, chercheur américain travaillant à Genève, telles qu’il les a présentées dans son admirable livre : The Impersonal Work of the Infant[3], Basic Book (New York 1985 traduit en français aux P.U.F)[4] ». Une théorie que Félix Guattari dit « mettre radicalement en cause toute idée de psychogénèse de type freudien ». Je n’ai pas la place de développer, me contentant de vous mettre l’eau à la bouche.
citation 1 :
Salutations à Galilée
et ses tierces consécutives !
Ce vieux copernicien abject, cet adepte du fil à plomb, ce fils d’un mercanti !
Nous sommes en mouvement, disait-il, en avant toute – Porca Madonna !
comme le dirait un quartier-maître ou, bouffi et ventripotent, un Prétendant au trône.
Ce n’est point là vaguer, c’est divaguer.
(Peste soit de l’horoscope, 5-10)
citation 2 :
là-bas
là-bas
surprenant
pour un être
si petit
jolis narcisses
armée de mars
alors en marche
puis là
puis là
puis de là
narcisses
encore
mars alors
en marche encore
surprenant
encore
pour un être
si petit
thither
1976
[1] D’autres, plus inspirés, ont avantageusement pris le relais : je n’en citerai que trois, Alain Badiou (l’increvable désir), Pascale Casanova (l’abstracteur), Gilles Deleuze (l’épuisé).
[2] Une exception (il y en a peut-être d’autres, je l’ignore) avec le texte de Michel Bousseyroux, Le parlêtre et le pantalon, téléchargeable via Google.
[3] Le titre de ce livre très connu est en fait The Interpersonal World of the Infant. Une coquille volontaire, je parie, du facétieux Guattari. Je viens d’apprendre que Daniel Stern est décédé le 12 novembre, à Genève, âgé de 78 ans. Rien dans les journaux français. Shocking…
[4] Félix Guattari, Introduction, in George Condo, La civilisation perdue / The Lost Civilization, Gallimard & Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, 2009.