Revue Hippocampe, n° 14 par Jacques Barbaut
Dans la quatorzième livraison de cet Hippocampe, cheval marin ou ludion — « cette oscillation entre le proclamatif et le studieux », Jean-Christophe Bailly, « Sur la revue », p. 42 —, qui s’ouvre sur une citation du « Galet » pongien — « Des hommes parfois jettent distraitement au loin l’un des leurs » :
une lecture de Nach der Natur, de W.G. Sebald, par François-René Martin, qui fabule le peintre allemand (fin XVe-début XVIe s.) Matthias Grünewald (littéralement « la forêt verte »), dit le maître du retable d’Issenheim, avec recours à l’onomastique, à l’astérochronie, à la géomancie, à la bibliomancie, ainsi qu’à l’historiomancie ;
une collection précieuse de cailloux récoltés par Alexandre Mare, ramassés au hasard des chemins, ceux insérés dans les poches de Virginia Woolf s’avançant vers la rivière, le beau caillou plat ajouté dans la marmite qui broie les fibres et mélange les sucs, viandes et légumes, pour la soupe du Forez, et le scrupule, petit caillou malencontreusement inséré dans la sandale du légionnaire romain qui gêne sa marche et entrave sa pleine conscience ;
un dossier (central) Emmanuel Hocquard (suivant de peu la tenue d’un colloque à lui consacré, « la poésie mode d’emploi », en Sorbonne au début de juin 2017), rassemblé par Anne Maurel, qui convoqua une bande de six autour d’un billard pour rendre compte des diverses activités (« la traduction, l’édition, les collaborations artistiques, l’écriture et les lectures publiques de poésie, les “ leçons de grammaire ” ») d’E. H. & Co, comprenant un entretien avec Olivier Cadiot — « Il faudrait quand même qu’il y ait une théorie sur la table » —, un secret culinaire anecdotique révélé par Xavier Person — « Construire une solitude revient à produire un espace, nous dit la poésie d’Emmanuel Hocquard » —, quelques tours d’un rouleau d’une bécane à ruban débobinés par David Lespiau — « comme si quelqu’un venait de soulever devant vous le couvercle de la vie pour vous montrer les rouages de la machine » —, une traduction de Gilles A. Tiberghien, sur deux pages, d’un extrait d’un polar inédit en français de Norbert Davis, Mouse in the Mountain (1942), « qui met en scène le détective Doan et son énorme chien danois, Carstairs, enquêtant de conserve au Mexique », après investigations poético-philosophiques ;
car, comme le dit Louis Zukofsky : « Toute la poésie, c’est cela. Soudain on voit quelque chose » (p. 100) ;
un dossier « Nous », présenté par David Collin, un pronom qui semble furieusement à la page (… Tristan Garcia, Nous, Grasset, décembre 2016 ; revue Critique, Ed. de Minuit, numéro « Nous », coordonné par Marielle Macé, juin 2017…), avec notamment une série de photos en noir et blanc de Laurence Leblanc (prix Niépce 2016), « D’argile », qui reproduit les visages, de la taille d’un ongle, des figurines en glaise utilisées par Rithy Panh pour son film documentaire et d’animation L’Image manquante, traces du génocide perpétré au Cambodge par les khmers rouges (« pour eux, le NOUS s’établissait dans la privation, les travaux forcés et la “rééducation” »), incarnant « le nouveau peuple » et ses bourreaux — photos justes et tendres, « montrant que derrière chaque visage, derrière la subtilité des traits, il y a un nom, une voix, un cri ».
Une revue cohérente, multidisciplinaire, d’excellente facture — avec un portfolio de Mélanie Delattre-Vogt, extrait de la série « Le Noir profond des pupilles » —, de dimension grand cahier, dos carré, avec couverture à rabats, dirigé par Gwilherm Perthuis.