2021 de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

04 juin
2022

2021 de Julien Blaine par François Huglo

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2021 de Julien Blaine

                  La sérendipité, copine de Julien Blaine, c’est le merveilleux désaffublé de tout christianisme médiéval ou occultisme surréaliste. Le hasard sourit au chercheur, scientifique ou poète, qui fait plus que tenter la chance, provoquer la rencontre. Il ouvre, comme l’écrivait Philippe Castellin en introduction aux tomes I (2013), II (2015) et III ((2017) de l’ « almanach bisannuel », le « règne des connivences et des renvois où l’un cligne de l’autre ». Car « Dans le monde des signes pas de hiérarchie. Pas plus qu’il n’y a d’ancien ou de récent, de lointain ou de proche ». Des « correspondances », oui, mais anarchiques et anarchistes. Car le « miracle animiste » est « le seul vrai ».

 

            La rencontre, c’est quelque chose qui s’imprime, de même que « le pneu imprime le pigeon qu’il écrase », et qu’imprimé sur la photo « le pigeon dans sa mort écrit de l’aile / Un dernier mot / Une plainte contre X ». L’ « identité commune » entre herbe et mot, entre oiseau et mot, s’écrit et se lit sur les pages d’un herbier, celles d’un oiselier. Et la rainette verte se métamorphose en feuille de figuier. Un « Hommage au Cri d’Edward Munch » rencontre le tableau de l’extérieur par le visage flou du poète photographié, de l’intérieur par des prothèses de mâchoire et de mandibule séparées comme deux rives. La rencontre exige un entraînement, une recherche. Comme un instituteur, Blaine aligne des triades masculin-féminin-pluriel commandées par le son qui l’emporte sur la graphie. Le sens est l’intendance qui suit ou plutôt nous mène par le bout de l’oreille, nous promène : Le bey   la baie   les bais.    Le Fait   la fée   l’effet.    Le geai   l’âgé   léger.    Le mais   lamé   les mets.    Le nez   l’année   l’aîné.    Le pet   la paix   l’épée.    Le cul   l’accus   l’écu.

 

            La rencontre peut se dédoubler, se multiplier, se développer, s’étendre de proche en proche comme une contagion. Semée à tout vent, la fleur de pissenlit ressemble fort à un coronavirus ! C’est d’abord un article du Monde (Ready Written) : à Fontainebleau, dans un « abri en grès » qui « daterait du Paléolithique supérieur », apparaît « une espèce d’Origine du monde en version préhistorique, minimaliste ». Expert en écriture cunniforme, Julien Blaine écrit  à Gilles Suzanne : « Alors là : on touche au miracle animiste : le seul vrai ». Aux commentaires de Blaine, Suzanne répond : « j’aime beaucoup ce rapprochement temporel que tu établis entre le mas d’Azil et Chauvet, les aziliens et Malevitch. 😀 ». Saisi par l’objectif du photographe, un renard traversant la route « permet un juste retour à un certain état sauvage ». Autre rencontre, un sanglier à Marseille illustre (« hélas provisoirement », ajoute Blaine), une « reconquête territoriale de la sauvagerie dans les terroirs civilisés ». Plus qu’une analogie, la juxtaposition de deux photos montre comment l’organique devient mécanique. « Ainsi ce qui était os et viande, ce qui était vif va devenir métal et minéral, mécanique artificielle, l’articulation entre le fémur et le tibia, la rotule, deviendra une bielle de vieille locomotive à vapeur ».

            Si la sérendipité est, d’abord, disposition d’esprit, la condition de la rencontre est sa lecture, sa traduction. La photo d’un panneau signalant à la fois un hôtel ibis et l’interdiction de laisser son chien déféquer est accompagnée de cette légende : « là, il y a confusion entre le hiéroglyphe et le mot imprimé : je suis un chien, je ne suis pas un ibis. Je cague et je vous emmerde ». Photographiés sur leur trône, Zappa et Blaine pourraient en dire autant. Dans ses « inconséquentes notules », Blaine écrit : « Je ne suis pas un poète illisible » (ou « difficile », ou « hermétique », ou « élitaire ou élitiste, ésotérique ou énigmatique »). Mais j’ai « besoin d’un traducteur car j’écris dans une langue étrangère à ce monde contemporain médiatique et policier ». Quand il enfile sa peau d’âne « pour plaire à Victor Hugo », cela déplaît « au conservateur du Panthéon ». Quand Corinne Masiero enfile la sienne sur la scène des César, Marina Foïs, maîtresse de cérémonie, trouve ça « un peu… dégueu ». À l’Esthétisme, au Spectaculaire, à la Littérature, vaincues par quelques générations avant de revenir en force —« certains basculèrent même dans la bonne littérature »—, Blaine oppose le zutique du Sonnet du trou du cul. Et tant pis s’il n’est pas pris au sérieux quand certaines de ses performances, certains de ses écrits ou dits, sont « si comiques, si grossiers, si ridicules, si exhibitionnistes, si bestials ». et s’il est effacé « au profit des produits publicitaires et autres dérivés artistiques "hors de prix" du merchandising des Pinault, Arnault et autres conaults ». Face aux amis galeristes Roger Pailhas et Jean-François Meyer qui ont défendu à Marseille tous les artistes « indéfendables » et tous les mouvements « invendables », qui sont Pinault « ramenant sa fraise jaunâtre à Venise » et « son rival Bernard Arnault, tiré à 4 épingles dorées siennes » ? Qui sont ces « bien parfumés » et « mal odorants » ? La plupart de leurs artistes « ne dépasseront pas la mémoire d’une génération ». Quant à « Amanda Gorman la Minou Drouet made in USA », « correctement politique » et politiquement correcte, « si ça c’est de la poésie alors je me mets immédiatement à la pétanque ou à l’élevage des papillons de jour ». Autant que l’âne de la comtesse de Ségur, son « bon petit diable » inspira Julien Blaine, et sa « performance », dessiner 2 diables sur les fesses que la vieille Mac Miche veut fouetter, et frotter des allumettes au soufre, fut pour lui « une grande leçon ».

 

            Une petite merveille d’irrespect affronte un temps où « la laïcité morfle et la barbarie monothéiste triomphe » : « une néopastorale (ou dépastorale) des Bonfils à Ventabrun », avec mise en place par photos et textes. Le blasphème y reprend allègrement ses droits. Joseph : « Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Certes j’étais bourré mais si on avait baisé je m’en souviendrais, une si jolie petite ! (…) Va savoir de qui elle est enceinte ? ». Marie : « Partons, Joseph, partons avec mon gros ventre, fuyons cet avenir funeste que je risque d’enfanter ». Le récitant : « sans un cri elle accoucha de Jésus qui sortit gluant et sanguinolent de son ventre, un peu merdeux aussi ! Déjà Jésus se manifeste ». Certes ce n’est pas du Claudel, pas tout à fait du Pagnol non plus. Mais qu’on connaisse ou non les pastorales traditionnelles, dont L’Enfance du Christ de Berlioz réinvente, hors Provence et sans les santons, le charme, d’ « enfance » précisément, on goûtera leurs saveurs de soupe à l’ail et d’huile d’olive, de nougat noir, de pâte de coing, de tisane miellée, de lait de brebis, de fromage sur du pain rassis. On dirait du Blaine : pas la moindre  goutte d’eau bénite.

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