4 de chiffre de Frédérique Guétat-Liviani par François Huglo
Comme quatre personnages font trois mousquetaires, trois traits tracés font 4. Si « le quatre-de-chiffre est essentiellement un piège destiné à tuer des petits animaux en les écrasant sous un objet lourd », des objets légers, pour lui échapper, tracent ici des plans d’évasion. Mieux qu’un mouton et sans qu’un (petit) prince lui demande « s’il te plaît », Frédérique Guétat-Liviani dessine la liberté. Dès la première page imprimée, il est impossible de faire tenir le corps dans les yeux, la poussière des tilleuls dans une pelle, une silhouette sur « le mur d’une galerie à toulon ». Impossible repos (plus loin : « le rire et l’inquiétude s’enlacent ») : la couchette, le compartiment, sont trop étroits. Ce qui tient dans la page ne s’y ferme pas : à gauche, un dessin où des lignes composées de mots manuscrits, lettres, flèches ou pointillés, entrent dans des labyrinthes, cellules ou cadastres, et en sortent. À droite, dans une première série, « doppia vita », quatre tercets sans rime ni mètre mais justifiés, avec espacements entre les groupes de mots. De même, la lumière traverse le grillage qui ne l’arrête pas, dessine juste « de jolies résilles sur les jambes et des bras nus ». La mer se montre « au travers de la grande baie vitrée » mais « on ne / peut l’approcher ». L’écriture qui dessine, ou le dessin qui écrit, est un geste qui va : « peu importe » s’il trempe son pinceau dans un fond de thé ou de chicorée, l’œil accueillera toutes « sortes de jaune et de brun ». Peu importe qui a mis les vêtements à tremper « dans la baignoire », qui les a pendus. Des portraits sortent des lignes d’écriture, « des corps en transition » comme ceux des chenilles : Giogio « veuve et vieille » pour qui « va tutto bene », ou un « monstre (…) édenté » posé en vrac « sur un banc ». Corps parlant ou corps « à emporter ».
Dans la deuxième section, « arrière-pensée », des espacements trouent toujours les vers, mais les strophes sont de longueur variable. Les résineux y deviennent « poteaux pour les lignes aériennes ». Un oiseau, parce qu’on l’appelle « perruche calopsitte », est tenu en laisse. Dans la rame, toutes les bouches sont masquées mais elles rient ou parlent. Rétive au regard qu’on lui jette, une petite fille lui répond : « tu m’as jamais vu tête de morue / tu me reverras tête de rat ». Des « gens raflés » (on devine le Vel d’hiv) n’ont pu échapper au regard qui les a anéantis. Des dieux découpés sur les boîtes vides leur échappent, se rassemblent sur une boîte à chroniques, où «les dieux et les animaux / partagent la condition des désoeuvrés ». Des jumeaux se reconnaissent aux « bouts de genoux / et de cuisses » qui apparaissent sous les déchirures de vêtements semblables. L’envie de rire aussi vient déchirer le moment, quel qu’il soit : « ce n’est jamais le moment ». Mais qui tient dans « un garde-meuble » ? Qui retient le lecteur d’ajouter un pourquoi à la phrase qui sans lui « ne veut rien dire » ? À quoi bon « apprendre à nouer les lacets » ?
Dans la troisième section, « la vision n’a pas besoin d’yeux pour voir », passent celles que sèment rêves, tableaux, sculptures, livres, films et vidéos de performances, qui questionnent « le temps et la liberté », et où « ce qui semble fou ne l’est pas toujours ». La quatrième section, « réuniondecellules », s’ouvre sur un « goût de l’issue » qu’un(e) « nireineniroi » oppose à « l’immobilité du temps ». Se préparer à la prochaine guerre ? On n’a « pas que ça à faire » ! La plus ironique des lois est « celle de la gravité ». Décomposées, recomposées, des cellules « impondérables ne croient pas en la mort éternelle ». La mort n’est pas étanche, elle sème la dispersion « sous terre dans la mer ou dans l’air », comme des pensées ou des mots qui « à peine entendus » se sont « transformés ». Avec Guétat-Liviani, lévitons !