591 hors série spécial performance par François Huglo
Il serait faux de dire que 591 (Bory, 2015) prolonge, reprend ou répète, même comme la réplique d’un séisme, 291 (Stieglitz, Duchamp, 1915), 391 (Picabia, 1917), 491 (Drouin, Tapié, 1949), ou prolonge, reprend, répète L’Humidité (Bory, 1970-1978). 591 les réveille. Loin d’être datée par ses précédents avatars, cette revue renvoie la plupart de ses contemporaines à « la vieillerie poétique ». L’artiste japonaise Kusana voulait « réveiller ce qu’il y a de mort au musée », Pascal Quignard ce qu’il y a de mort dans la bibliothèque : les livres vivants sont rangés « dans les corps qui les lisent ». Pierre Pinoncelli réveille Duchamp, qui déplorait la sacralisation de ses ready-mades transformés, comme l’écrit Virgile Novarina, en « veau d’or de l’art moderne » par la finance et le marché. L’ « esprit frondeur et dilettante » que saluait Jannick Thirioux, commissaire de l’exposition rétrospective de L’Humidité, et qui fait de Jean-François Bory, selon Gérard-Georges Lemaire, le « Gavroche de la noble poésie ultramoderne », (salut, hugoliens « chiens noirs de la prose » !) parcourt et secoue 591 comme un fou-rire passant de l’un à l’autre des intervenants et des lecteurs qui le sont aussi, onde de choc, critique implicite (comme L’Humidité) de la séparation.
La performance, objet de ce numéro hors série, ne peut être rangée dans des cases, mais le mot désigne des pratiques très diverses, que distinguent les intitulés des sept sections, formulations rigoureuses suivies de phrases qui, plus intuitivement, donnent le ton. 1- Corps performatifs ou « On ne sait (toujours pas) ce que peut un corps ». 2- Identités performatives et rhizomatiques ou « changer de vie comme nous changeons de linge ». 3- Écritures performatives. Poésie visuelle ou « Le sens d’une page est souple ». 4- Dossier spécial Frédéric Acquaviva ou « Mes disques, c’est de la frappe ! ». 5- Chroniques Performances & expositions. 6- Dossier spécial Pierre Pinoncelli, ou « Urinoir, marqueur, marteau ». 7- Dossier spécial : Joël Hubaut ou « On va se transformer en brasier pour re-bouillir en poésie en bouillonnant à fond ».
En 1, une photo de François Massut en salopette de peintre, tenant par l’épaule un squelette coiffé d’un chapeau melon, rappellera irrésistiblement à Nicole Benkemoun et à d’autres tintinologues la vignette d’Objectif lune en bas de la page 25, où Dupond-Dupont chapeautés melon tiennent par les épaules un squelette menotté : « Et vous avez beau faire le mort, mon gaillard, votre compte est bon ! ». Suivent : Zone négative. Performance : 4 images [tirage argentique] prises par Maxime Rizard lors d’une sortie de résidence à Soma. Auto-revers : 10 photogrammes issus d’une vidéo-performance à partir d’une captation réalisée par Elsa Pennachio. Inventaire, d’un humour noir très Yoann Sarrat. « Do cyborgs dream of electric ghosts ? » par Hortense Gauthier, performance créée à Strasbourg en juin 2022 : revêtue d’une « armure de câbles en tentacules », une « créature hybride » tente d’exister, « vestige cyborg de notre civilisation fondée sur la puissance de l’électricité et l’accumulation matérielle ». Anne Beauchard : « Mes plus beaux bleus ». Yoann Sarrat : 8 vidéogrammes corpographiques (avec tatouages sur le corps et signes typographiques surimprimés à la photo de ce corps). Hortense Gauthier : « Jetez un œil sous ma jupe », performance réalisée en novembre 2013 à Marseille avec Nadine Agostini, face à la librairie « histoire de l’œil ». Celui-ci ne se jettera pas dans l’Origine du monde, mais trouvera le visage que, plus haut, masquait un miroir. Julien Daillère : « Réappropriation machinoïde ». Réhumanisation du serveur vocal et du correcteur humains, téléperformance. Marion Arnoux & Fanny Travaglio : « Collectif Zaoum ». Jason Mache : « Onychophobie » (triptyque). Camille d’Arc : « DXDA. Archive poétique ». Des rituels « aux larmes d’Osiris » qui n’oublient pas qu’ « aux sources des religions étaient les eaux qui ont rempli vos mers, vos océans, vos vulves et vos queues ». Photos souvenirs : Les Eauditives 2022.
En 2, Identité rhizomatique & polyphonie schizoïde MÉTANYMIE, avec « traces de bave et d’éternité en Allemagne puis en Roumanie », « réincarnations fantômes & métempsychoses textuelles ». Julien Daillère : « L’égo sur la tombe ». Grégoire Damon : « Mon premier livre de développement personnel ». Mathias Richard : « Plus je suis fatigué ». En 3, Jeff Nimp, André Rober, Julien Daillère « Au retour des Pyrénées de riz… ». Nicolas Giral : 7 collages. Broutin : « Un coup de dés même méticisé jamais n’abolira le hasard. Parce que d’autres l’ont tenté. Faudrait-il que je renonce ? (1ère variante 2022, extrait) ». Thomas Seto. Claire Valadon, « Sextines ». Alan Mitrac. Yoann Sarrat : « Partition de performance chorégraphique par mauvaise nuit ». Cette fois, la photo du corps est insérée dans la page imprimée, entourée ou couverte de signes typographiques. « Microperformances » et « Cahier d’activités pour centre de loisirs performatif » (titre qui rappelle Le stage d’athlétisme poétique d’Anne-Marie Jeanjean) : humour noir ludique entre Duchamp, Topor et Choron, tous trois réveillés en sursaut par Sarrat. En 4, Jason Mache : « Acquaviva ou l’écartèlement du disque ». Suzanne Gervais : « [Seminal], la folle arche de Noé instrumentale et vocale ». Yoann Sarrat : « Composer avec préméditation. Sur plusieurs travaux récents de Frédéric Acquaviva ». Jason Mache : « Analyse [Dance music]. En 5, lecture d’Abracadada de Jean-François Bory à Bruxelles, galerie Satellite, le 2 octobre 2021, par Gérard-Georges Lemaire. Jérôme Duwa : « Chaosmos » à Garage Cosmos, Bruxelles, 1er avril-1er mai 2022 : « Qu’est-ce que tu dis Anna Livia Plurabelle ? D’un chaosmos à Uccle ». Jacques Donguy : « Anges sur la glace. Des femmes qui traversent le temps », suivi de « Poésie numérique et permanence corporelle ». François Huglo : « L’Humidité, une rétrospective » (texte paru sur Sitaudis). Chantal Deckmyn : « Pour explorer Genève, soirée "Rêver la ville" du 6 mai 2022. En 6, Yoann Sarrat : « Sur Pierre Pinoncelli, l’artiste à la phalange coupée de Virgile Novarina. Virgile Novarina : « Duchamp, Pinoncelli, un ready-made réciproque ? ». En 7, Trois photographies de Joël Hubaut, performances dans la rue, suivies de « Alloooooooooo ! [poème téléphoné en live au "festival voix vive de Sète"] et d’autres photos de performances : 1997, 2010, 2018, 1997, 2004, 2005, 1986 « avec la complicité de Félix Guattari pour Polyphonix au Café de la danse », et 2020, « Téléperformance épidémik, captage Amélie Hubaut in the garden ». Cette fois, c’est Hubaut qui porte le chapeau et tient le squelette (miniature) non par l’épaule mais par la taille, réduite à une colonne vertébrale, comme si pour le coup de l’étrier, il tenait un verre. À moitié covid ou à moitié plein.