Animaux-&-artistes de Julien Blaine par François Huglo
Après La ferme des animaux, leur Salon ? Orwell et Blaine sont deux fabulistes. Un précédent : la « perf », en 1910, de Roland Dorgelès qui avait attaché un pinceau à la queue de l’âne Lolo et avait exposé au Salon des indépendants de Paris la toile ainsi obtenue, signée J.R. Boronali (anagramme d’Aliboron). Morale de la fable selon Dorgelès : « Nous avons voulu montrer aux niais, aux incapables et aux vaniteux qui encombrent une trop grande partie de cette exposition (…) que l’œuvre d’un âne, brossée à grands coups de queue, n’est pas déplacée parmi leurs œuvres » (Manifeste de l’excessivisme). Selon Julien Blaine : « Lolo, en toute modestie, refusant la gloire, a repris son travail sur la butte, mené par son maître le père Frédé ; mais je n’oublie pas que ce tableau historique —ce dialogue entre un âne et un ami—précède de plus de 50 ans Reps 306, le dialogue entre l’éléphante du cirque Franchi et moi ». Ces morales diffèrent, mais le rire provoqué par les deux fabulistes « grince, tutoie la tragédie, à l’idée que ces bêtes sont docilisées au point de nous plagier (…). Ce jeu renvoie en miroir au statut de certains humains qui s’enorgueillissent volontiers de leur liberté d’artiste, alors même que cette liberté est régie, contrôlée, voire dictée par l’institution » (Laurent Cauwet).
Gilles Suzanne va jusqu’à affirmer que la « filiation entre artistes (…) passe moins par une quelconque pratique artistique, un style ou une école, que par le marché », auquel « la plus grande part » de la production de Julien Blaine « est demeurée insoumise, c’est-à-dire soustraite aux mécanismes de la spéculation financière ». Fils « de rien » et « de tout le monde », le poète, « bâtard par excellence », se fait « orphelin de toutes les formes de transcendance ou d’autorité morale, économique, politique… ».
Le Grand dépotoir avait illustré cette insoumission. Après avoir cessé toute pratique artistique, Julien Blaine a recours au ready made : il n’expose pas ses œuvres mais celles de Lolo l’âne, Congo le chimpanzé, Pigcasso la truie, Nong Thanwa l’éléphanteau, Hunter le shiba-inu, Juuso l’ours et Poulpo le poulpe. Il fait mieux que les exposer : il s’expose par eux et en eux, se glisse symboliquement (par le costume) dans leur peau. Le voici en poulpe, ou coiffé d’une tête d’âne. Sa main serre le corps-cou du « boa-bas » (ou « bao bab »), et sert de perchoir à la cigale ou autre « belle inconnue ». Hugo l’a dit, « les bêtes, cela parle ». Ajoutons : pas à n’importe qui. « En guise d’épilogue », Julia Raymond cite Zarathoustra : « Jadis vous avez été singes, et même à présent l’homme est plus singe qu’aucun singe ». Nietzsche le déplore. Blaine est sans doute moins proche de lui que de Cavanna (Et le singe devint con) qui regretterait plutôt que ce ne soit pas le cas. Des deux côtés du miroir, quel est celui qui rit de l’autre ?