Carnet de voyage de Bruno Fern par François Huglo
« Le vers (…) n’existe pas », si « des vers (…) existent », écrivait Jean-Pierre Bobillot en postface à De partout de Sylvie Nève (1992). Le titre du poème de Bruno Fern pourrait être « De partout à partout », ou « De nulle part à nulle part », et il apparait à la lecture que le voyage, le voyageur, n’existe pas plus que le vers.
Ceux qui voyagent
« en 1ère classe avec champagne à volonté »
ne sont pas ceux
« que l’on retrouve longtemps après, coincés dans un camion frigorifique ».
Ceux qui font
« le tour des capitales européennes en 8 jours tout compris »
ne sont pas ceux qui
« se déplacent à la vitesse moyenne de 4 km/h
le long de la frontière, à la recherche d’un trou dans les barbelés »
Ceux qui consomment des voyages, consomment en voyageant, « à moindre coût, grâce aux prix dépourvus de griffes », ou qui font « des affaires avec ceux qui en font déjà », ne peuvent être confondus avec ceux qui « tombent comme des fruits morts des trains d’atterrissage ». Ceux qui voyagent « aux frais de leurs chers administrés » diffèrent de ceux qui veulent voir « plus loin que le bout de leur territoire national », et qui eux-mêmes ne sont pas forcément ceux qui « plantent leur drapeau aussitôt qu’ils ont débarqué quelque part », et ne font qu’une bouchée des îles Sandwich, ou ceux qui « s’amusent à dégommer les dodos même pas foutus de voler ».
Les uns « se méfient des mendiants, surtout des gosses dont l’agilité est particulièrement redoutable ». Les autres « guettent la côte pendant des semaines », ou « nagent pour la plupart d’entre eux moins d’une heure au large de la Sicile dans une eau à 10° maxi ».
Ni vers, ni prose. Des éclats de dure prose tombés des « actus » entrechoquées. Vers de prose. Éclats de vers, aiguisés par le choc de leur assemblage. Et cut-up : prose coupée au cutter, mais aussi prose coupante. Le travail de Sylvie Nève continue.
Et la lutte ? La transmission du feu ? En entrechoquant des éclats de touristes, de jet-set, et de migrants, Bruno Fern veut choquer, c’est ainsi qu’il éclaire. Il provoque. Pas à la guerre au nom des différences, mais à celle qu’exige la ressemblance —une lueur : l’égalité, la commune humanité— entre ces gens qui partent
« à la rencontre de l’inconnu qui, espèrent-ils, leur ressemblerait tout de même un peu ».