Celebrity cafe #03 : outro/autre d’Augusto de Campos par François Huglo
Relativity de la celebrity ! De part et d’autre des larges extraits d’outro/autre d’Augusto de Campos, repris dans le n° 3 de Celebrity Cafe, la préface de Jacques Donguy et la postface de Jean-François Bory contrastent fortement. Dans la première, Augusto de Campos reçoit en 2017, en Hongrie, le grand prix de poésie Janus Pannonius que le New York Times considère comme le Nobel de la poésie, après avoir obtenu en 2015 le prix de poésie Pablo Neruda pour l’Amérique du Sud des mains de Michèle Bachelet, présidente du Chili. La même année, Dilma Roussef lui a remis au Panalto de Brasilia la grande Croix de l’Ordre du Mérite Culturel. Après projection de ses poèmes concrets en animation numérique, Augusto de Campos avait brièvement pris la parole au micro « pour défendre Dilma Roussef, avant le vote du Sénat qui devait la destituer de la Présidence de la République, elle qui avait été démocratiquement élue ». Déjà pendant la dictature militaire en 1964, Augusto de Campos avait dénoncé dans ses « Popcrets » la censure et les décrets arbitraires. Dernier survivant du groupe « Noigandres » de poésie concrète, traducteur de Mallarmé et d’Arnaut Daniel, poète du XIIe siècle vénéré par Pound, il a longtemps correspondu avec Cummings. On le considère, là-bas (au Brésil et un peu partout), comme une légende.
Et ici, en France ? Jean-François Bory : « Au début des années 60, j’eus beaucoup de difficultés pour me procurer la revue du groupe brésilien "Noigandres", pourtant à « la pointe des avant-gardes poétiques internationales. Ses fondateurs avaient traduit Cummings, Maïakovski, Khlebnikov, textes dont l’"intelligentzia" poétique parisienne n’avait aucune idée, occupés qu’ils étaient à maintenir leurs positions dans les maisons d’éditions et à truquer les prix littéraires, notamment les prix Mallarmé et Max Jacob, qu’ils s’entre-attribuaient au nom de la sacro-sainte poésie chantante issue de la résistance française de la seconde guerre mondiale. Mais nous étions en 1965 ! ». C’est Pierre Garnier qui a donné l’adresse d’Augusto de Campos à Jean-François Bory, qui a publié le groupe brésilien « Noigandres » dès le n°1 de sa revue « Approches » en janvier 1966.
Présentant lui-même les poèmes de son dernier recueil, outro/autre, Augusto Campos voit en eux des « peintures qui veulent être des clips » et « perdent une partie de leur intentionnalité dans la mesure où ils sont ou bien des formes statiques issues d’animations numériques, ou bien des poèmes-clips demandant mouvement et son », dont certains peuvent être vus sur les sites indiqués en fin de volume, après la bibliographie. L’un d’eux, « tvgramma 4 erratum », nous dit en carré et en jaune sur noir : « AH MALLARMÉ / LA POÉSIE RÉSISTE / SI T'ÉVITE LA TV / LE CYBERCIEL T’ASSISTE / EN QUICKTIME ET FLV / DÉJÀ HANTENT TES DÉS / L’YOUTUBE OÙ TOUT EXISTE ». Jacques Donguy précise en note qu’ « à partir du I Ching, Augusto de Campos a obtenu un alphabet complet, en modifiant et en profitant de certains hexagrammes et de quelques similitudes avec notre alphabet conventionnel, pour former le mot HUMANO dans la présentation en carré du I Ching. Il a inversé les lettres choisies du noir au blanc, en négatif, sans rien changer ».
Dans la série o polvo (vieira) / le poulpe (vieira), de page en page les mots se dégagent progressivement d’un empilement de lignes sinusoïdales formant surfaces violettes et blanches nageant sur fond noir, et deviennent lisibles, les caractères se distinguant progressivement dans les lignes : il s’agit d’un extrait du « sermon de Saint Antoine aux poissons » d’Antonio Vieira (Lisbonne 1608 – Salvador de Bahia 1697), « jésuite, écrivain et prédicateur, auteur de 200 sermons, représentant du Baroque littéraire, un des grands écrivains de langue portugaise », précise la note. Autres hommages : à Maïakovski (Maïakovski-toast), à Apollinaire (guillotine apollinaire), au compositeur Scelsi (le chant de l’œil). Dans le contrepoème Lula livre / Lula libre, le mot portemanteau, « paranaico », est la contraction des mots « paranoico », paranoïaque, et « Parana », l’état brésilien où exerce le juge Sergio Moro, « connu pour sa partialité judiciaire et sa désobéissance à la Constitution », notamment dans les « salaires hors-normes » qu’il s’attribue. Ce juge a condamné Lula à la prison.
Depuis les années 60, ne vivons-nous pas toujours dans le « très vieux pays couturé de toutes parts par des protes isolationnistes agrippés à leurs prébendes » que décrit Jean-François Bory ? Répondons à son invitation au voyage, entrons dans « la page du poème » !