Dans le style de l’attente de Jean-Marie Gleize (2) par Yves Boudier

Les Parutions

20 oct.
2022

Dans le style de l’attente de Jean-Marie Gleize (2) par Yves Boudier

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Dans le style de l’attente de Jean-Marie Gleize (2)

 

Entre une photographie énigmatique d’un sombre profond, sur lequel se lit en réserve l’annonce d’une intention (COMME ÇA DANS LE STYLE DE L’ATTENTE.), et une série de notes qui clôt le livre, se déclinent treize parties de tailles inégales et d’une polygraphie se déplaçant entre prose et vers, du monostique au paragraphe, du distique à la strophe presque dizain, à la page comblée parfois. Une lecture récente de Laurent Zimmermann publiée ici en septembre dernier, analyse parfaitement la pertinence de ces alternances donnant voix au travail mémoriel. Je propose parallèlement de tenter de saisir la dimension, j’ose le terme, mystique de l’ouvrage.

 

Restitution d’une parole intérieure plus que jeu formel, ces manières d’occuper l’espace graphique offrent une respiration démultipliée qui mime le souffle de celui qui se parle à lui-même à travers la subvocalisation propre au retour du souvenir, le balbutiement émotionnel de l’enfance en allée et revenante. La lecture permet alors de comprendre combien est ambigüe la notion de roman familial qui n’hérite du roman que le fantasme de croire en finir avec le retour de l’affect par le déploiement d’un récit. Ici, au contraire, se cultive la cicatrice, s’entrouvrent les berges de la blessure, métaphorisée à plusieurs reprises avec l’image du trou noir, de l’étang où se devine dans le trouble de l’eau, l’obscur des jours, le souvenir enfin advenu du vacarme, du strepitum qui réunifie une communauté en quête de lumière.

 

Il est difficile et sûrement peu utile d’épeler les différents temps de ce livre dont chaque fragment renvoie le lecteur à la double difficulté d’identifier le référent parental dont il est question dans le texte même et de se sentir lui-même appelé à se confronter à une histoire personnelle en symétrie avec celle que la page lue suscite en lui. Chacun est fille ou fils d’une lignée, chacun, si l’absence de signifiants maîtres ne lui interdit pas de vivre en conscience, poursuit son chemin dans le temps, certes. Or, l’absence n’est pas l’attente, cruelle et plus encore obsessionnelle.

 

Attendre, c’est questionner le retour, le revenir. Jean-Marie Gleize se tient là, et d’une certaine façon compte sur son lecteur, seul regard partagé qui justifie l’audace généreuse de la douleur de sa quête, son impudeur sentimentale au risque d’une incompréhension de la parole dont il nous fait le confident. Une presque confession, en confiance d’écoute, lucide et comme chuchotée, solipsiste et cependant soucieuse de vérité, au plus près de ce que l’écriture permet de creuser, de masquer, de déguiser, au fond de révéler, dans le creux d’une possible oblation sans consécration. C’est ainsi dire combien le sous-texte d’une religiosité eucharistique hante ces pages, se heurtant à la présence d’une nature robuste et résistante autant qu’au démenti que la narration des actes commis dans le passé par les aïeux de celui qui recopie sa relique lui impose.

 

Au seuil du livre, l’inscription du refoulé dans le nom, l’anagramme nominale agit comme une révélation, cependant encore tue, du mouvement profond qui travaille le lien entre souvenir et écriture, en énonce peut-être le pourquoi :

 

                 « Lettre à lettre, le mot église. Je suis donc contenu dans ce mot. C’est là
                 que j’habite. J’y reste, j’y deviens. »

 

Sans insister sur la valeur symbolique dans la littérature analytique de la lettre S, substitut ici du Z, le sujet inscrit dans ce vocable (vocare/vocation, une étymologie partagée) s’y lit et s’y aveugle, tentant d’ouvrir les yeux sur ce point d’une luminosité obscure avec un donc, porteur d’une auto-persuasion se voulant salvatrice. Mais, le devenir souhaité demeure intransitif jusqu’à une page décisive de lucidité à la toute fin du livre.

En caractères italiques, une quinzaine de lignes ressaisissent l’ensemble à travers un paragraphe qui offre une forme de synthèse temporelle, d’un présent (Je recopie-j’attends) à l’autre, plongeant dans un passé imparfait (Je voulais) devenant, grâce à l’usage d’un passé composé pronominal (Je me suis longtemps répété), clef qui ouvre sur un futur impersonnel (Il viendra) restituant le présent d’un sujet. Un parcours paradoxalement segmenté dans un jeu (des) du temps que la dimension aspectuelle du système verbal de notre langue autorise. Mais un parcours intimement unifié de par la conscience et le désir d’une écriture non dupe d’elle-même, Quelque chose très au fond des yeux. Dans le style de l’attente.

 

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