L’eau entre deux, Christian Tarting par Yves Boudier

Ce beau livre, dont le titre même désigne un entre deux impalpable, tient parfaitement dans un presque carré, cet espace à la fois de rigueur et d’évidente simplicité, ce carré des simples autant que celui des Latins, carré Sator, carré du semeur.
L’épigraphe d’Octavio Paz, La mer des lèvres fines, la mer de cinq heures du matin, scintille aux portes de ton sommeil, déplie plus encore l’insaisissable et sidérante ouverture de cette bouche d’ombre et de lumière, celle qui délivre les paroles de leur écorce de nuit, qui sonne le lever inexorable. Le poème s’imposera, délicatement, dans la cependant sensible cruauté de ses coupes et ellipses.
Et que sont ces griffes d’herbes hautes derrière lesquelles se donnent les poèmes sinon les traces dissimulées en ouverture (quasi lettre volée) des sillons qui partagent visiblement à peine les lavis comme fendus tels une œuvre schize assumée par la main du peintre depuis la première tache sombre cardinale jusqu’à sa finale d’obscurité brune en clôture.
Que s’est-il passé entre ces deux ? Le poème, qui à quatre reprises se reprend, d’emblée s’est repris, agua // plurale, […] pour ne  pas tomber, libérer la parole de salive terrée, pour s’ouvrir, peut-être même tenter de fuir ce qui / force, // hier.
Puis perce l’aveu secret, tellement lucide du sang qui se fige, entre le rose humide et l’empreinte.
Vient alors le temps de la négation paradoxale du silence : ainsi se taire, et.
Le poème désormais parle, assume sa chute et mesure à ses blessures le masque des syllabes, les rumeurs […] en dessous allongées, la volonté salvatrice de son refus d’attribuer un sujet à ses dérives plurielles, de bâillonner / l’entaille lui / dire la nuit. C’est au féminin que le poème atteindra sa cible terreuse, son humus, apaisera sa quête : la vague, l’idée, la perle. Une trilogie para siempre.