Égoïne d’Erik Wahl par François Huglo

            Fil d’une scie ? Les dents de l’égoïne sont triangulaires. Le poème en vers d’un mot (parfois deux, rarement trois) qu’Eric Wahl glisse entre trois photos de Maki l’est aussi, de même que cette réalité controversée qu’on appelle prostitution. Les trois fils que tresse Wahl, si serrés qu’ils n’en font qu’un, sont composés de mots empruntés respectivement aux lexiques de la prostituée, du client, et du proxénète. Celui-ci n’est pas ouvertement une personne, il n’apparaît que comme mode opératoire, règle d’un jeu électronique dans lequel entrent les deux autres : la prostituée par l’invite, le client par la demande. Les trois voix se mêlent dès les premiers vers : « come / to my / baby / welcome / azerty / begin / we / insert / coins / tarif / start ». À quel partenaire attribuer les mots « toxico », «addict » ? On devine lequel pense « plus-value », « marché », « rendement », quel(le) autre est préoccupé(e) par « manger / riz », « survivre / debout », « couches / bébé ». Dans le mot « étudiante » coïncident une offre et une demande. Si l’expression « faim / de toi » peut être partagée, les sens que prennent ces mots diffèrent de tout au tout selon le protagoniste. Les trois acteurs s’entre-dévorent, à grands coups de dents d’une même scie.

            Accompagnant le poème qui décrit un rapport social en se tenant sur le fil de sa lame, les trois polaroïds de Maki, extraits d’une série de 300, Welcome to my room, atteignent des solitudes lasses ou terrorisées à travers des regards, des visages occultés par le commerce du sexe. Sur deux ans, Maki a photographié sur le vif des conversations, à travers l’écran d’ordinateur, de filles et garçons des Philippines invitant les chatteurs à un « show privé » et payant sur lequel ils touchent un faible pourcentage. Les mots « seulement / se connaître » tombent le masque. Il ne couvrait qu’une lutte sans merci, parfois pour la survie : le cours (normal ?) d’une guerre mondiale entre égoïsmes.