Fatrasies de Patrick Sirot par François Huglo
Patrick Sirot : imagier fatrassier, métier plus rare que celui de boulanger pâtissier, mais pas moins ancien. Sylvie Nève qui, dans sa préface, lui trouve un prédécesseur en 1966, un Jacques Prévert « fatrassier et collagiste », précise que loin de dériver de « fatras », la fatrasie est apparue plus d’un siècle avant, et que le Malraux des Voix du Silence l’associe à des images : « L’audience des fatrasies du Moyen Âge ne fut pas moindre que celle de Jérôme Bosch ». Sylvie Nève, qui a « entremis de l’ancien français » Les Congiés de Jean Bodel, avec Jean-Pierre Bobillot, et Les Congiés de Baude Fastoul, fait de la fatrasie « le poïein des villes » : dès la fin du XIe, l’essor urbain substitue à la subordination féodale la citoyenneté « d’égaux à base professionnelle », et au XIIIe siècle, tandis qu’à Arras Bodel « invente le théâtre profane », apparaissent « des formes poétiques détonantes, anti-lyriques », en « contrepied de la littérature courtoise » : la « sotte-chanson », la « fatrasie », puis le « fatras ». Sylvie Nève, qui fait remonter à farcire l’origine du mot, va jusqu’à affirmer : « la "farcissure" est le "faire poétique" ». Si la métrique est exigeante (11 vers : 6 de 5 syllabes et 5 de 7), « le poète "farcit" de non-sens la "carcasse" strophique ». Il s’agit bien de carcasse et de viande, en cette conquête du profane qui n’est jamais acquise (sommes-nous jamais sortis du Moyen Âge, des subordinations idéalisées, sacralisées ?). « Nombre de fatrasies », observe Sylvie Nève, « usent d’un copieux vocabulaire du "bas corporel" qui farcit le "faire non-sens" ».
Quand texte et image se farcissent l’un(e) l’autre, l’un(e) de l’autre, le non-sens résulte de leur échange, qu’il relance. Comme le colporteur, et comme d’anciens albums pour enfants, Patrick Sirot pose une formulation rythmée et rimée, comme rituelle, face à une image qui raconte une histoire sans queue ni tête, que le texte aide à trouver. Entre Bosch et Topor, les images de Sirot pourraient illustrer Ubu ou Lewis Carroll. Et le dialogue texte-image n’est pas moins scabreux que les contes pour enfants. Leur attention au « bas corporel » pourrait être qualifiée de freudienne.
Il y a de l’oral chez le « maigrichon » qui, pour « jongler des heures » avec le cochon, « a besoin / De gras dans son baluchon », ou dans le repas d’abord sucé, « Queue en hors d’œuvre / Puis moule et pieuvre / Couleuvre verte », puis avalé : « la couleuvre / Car mentir déconcerte ». Il y a de l’anal dans le « gargantuesque pet » sur le cratère du volcan, qui propulse Poupin, tel le baron de Munchausen, « dans les airs / Au loin de la galaxie ». Dans la question de savoir si la clef du « poussin automate » bouchera « le trou de la bécasse ». Dans l’étonnement de ne pouvoir « Chier aussi monumentale / Que sa main, ses cinq doigts ».
Où il y a du phallique, il y a de la castration. « Le torchon de figure » commémore un visage désormais inexpressif et absent, « pendentif (…) sans avantage », comme dégonflé, aplati. Face à l’étété, « crevés sont les yeux » de sa tête posée sur un cube rouge. Une « tête mobile / (…) / Remplace la main » arrachée par un crocodile. D’un seul coup de couteau, « Nez et bouche » sont « écharpés ». Débandade ? L’amoureux Sisyphe pousse au sommet la tête de sa bien aimée qui, « mal armée / S’écroule dans un râle ».
Le travail d’assemblage de Patrick Sirot ressemble à celui du rêve —de ces cauchemars qui réveillent, et qui durent !