Fausses boucles de Bruno Fern par François Huglo

Les Parutions

29 sept.
2015

Fausses boucles de Bruno Fern par François Huglo

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Après des textes-posters et un DVD, Caroline Scherb et Nicolas Tardy, qui ont fondé Contre-mur en 2009, ont décidé de passer, en 2015, à l’édition de livres numériques. Les trois premiers sont Apnée de Corinne Lovera Vitali (monologue en prose coupée, non ponctuée), Fausses boucles de Bruno Fern (courts trajets en vers formant losanges entre deux homonymes bisyllabiques), et Les feuilles de yucca /leaves of the yucca de Ian Monk (colonnes de vers issues de haïkus traduits en français et en anglais, jouant entre les langues). Sont annoncés : Les Mille et une phrases d’Éric Simon et Serpents de Laura Vasquez et Clara de Asis.

Le texte de Bruno Fern s’accroche à la page, que ce soit sur écran, où le risque serait de le voir (se) défiler, ou ancré sur papier. Il joue sur une double contrainte —1) réaliser une boucle, 2) que cette boucle n’en soit pas une. Double, et davantage : il joue à la fois sur la forme (strophes), sur la typographie (nombre de signes), sur la logique (la syntaxe), en un travail de grande précision dans une simplification (au sens algébrique) qui évite la crispation aphoristique (cf Char et ses innombrables épigones). Une contraction décontractée ? Une précision dans la souplesse : manier le sabre, c’est se projeter dans sa pointe, d’où l’analogie entre dessin humoristique et hara-kiri. Ces boucles sont aussi des dessins. Et de l’humour.

Et voilà confirmée, une fois de plus, mais avec éclat(s) et originalité (Bruno Fern invente ici une contrainte formelle) la supériorité de la poésie qui se sait écrite « avec des mots », comme disait Mallarmé, sur celle qui l’ignore ou l’oublie. Cela ne veut pas dire qu’elle s’écrit sans idées ni sentiments, au contraire : les mots mènent leurs danses, et ces suites de suites disposées en fausses boucles sont des suites de danses. Supériorité de la poésie, ou de la chanson. Un exemple : Gainsbourg écrit avec des mots, Michel Berger (par ailleurs estimable) avec des sentiments et des idées qui, sans effort suffisant d’attention méfiante, amusée, gourmande, aux mots, se font vite piéger, risquent de s’engluer dans la niaiserie. La danse, au moins, regarde où elle met les pieds. Bruno Fern pratique, et exerce son lecteur à pratiquer, le pas de côté, l’enchaînement par décrochage, bifurcation, changement d’aiguillage. Exemple : « (…) plonge la tête la dernière occase sera la meilleure ». Sa figure privilégiée, son outil familier, est le zeugma : « avec attention avec les os », ou « cloue la / croix et le bec ». Triple zeugma (comme on dit triple salto) : « se pousser des ailes / au premier rang / au cul ». À lire ces vers, on en vient à penser que toute rime est une fausse boucle, qu’elle refuse et franchit d’un bond l’obstacle de l’identité suggérée par l’homophonie. Ainsi, à « la pa / role de l’être » (cette pa / pauté qui lui confie trop rarement un rôle comique), la rime « l’appât » accroche une casserole au cul. Le poète « détonne », mais « en fait des tonnes ». Il y a de l’ironie dans la rime : elle ne se laisse pas prendre au jeu de la répétition. En faisant rimer « l’effroi » avec « lait froid », Bruno Fern adresse un clin d’œil à Alphonse Allais (« Par le bois du djinn où s’entasse de l’effroi / Parle, bois du gin, ou cent tasses de lait froid »). Autres clins d’œil, tout aussi discrets : à Villon (os devenant « cendre et poudre »), à Rimbaud (« bave à la pulpe » pour « bave à la poupe », on songe à une poupe pulpeuse, c’est peut-être scabreux mais « le cœur volé » d’Arthur l’est aussi !). Les contraintes peuvent rappeler Roussel, mais la machinerie est ici miniaturisée. Ou, comme le sabre, concentrée dans sa pointe. Un Roussel acupuncteur ?

 

 

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