Federigo Tozzi, Barques renversées par René Noël

Les Parutions

21 janv.
2021

Federigo Tozzi, Barques renversées par René Noël

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Federigo Tozzi, Barques renversées

Âme, art

 

          Âme, lame de fond des venants, signe vif qui lie les humains d'occident aux mémoires antérieures des symboles où les mondes concrets et abstraits se lient et se défont. Traité d'Aristote " De l'âme ", traits pris de siècles en siècles au vol, l'âme poisson volant de l'occident au-delà même des figures de style - les parties pour le tout ou l'infini en la moindre poussière d'un rai du soleil en forêt, alors qu'en orient, au sud, au plus excentré du nord, les humains ont d'autres terminologies pour dire l'excès, une mesure de relations entre le je, le moi, l'espèce humaine, la nature, et imaginent, dessinent d'infinies combinaisons pour dire un tout et ses ciels inconnus, dehors qui les confirment, terres firmaments, constellations qui d'époques en époques changent de contours et de matières -, l'âme souffle de ces notes, traité empirique dont les cours et les dialogues sont laissés aux bons vouloirs et caprices des sens et de l'esprit en tête à tête, Federigo Tozzi les voyant vivre leurs vies, leurs désirs.

          Tozzi avec Balzac tout à ses physiologies, ses matérialismes, soit l'infini observé autour de lui, ses traités et discours sur l'immortalité de l'âme, Novalis, Hugo, plus encore sans doute du côté d'Alessandro Manzoni héritier des psychés de l'antiquité - les peuples d'Italie n'ont-ils pas été nos voisins, les grecs, et non les Germains ou d'autres peuples européens qui bien qu'ils n'aient jamais été colonisés par les Hellènes ou leurs devanciers fondateurs des plus prestigieuses écoles philosophiques de Sicile, Campanie..., se sont sur le tard abusivement déclarés plus grecs que les Grecs ? - Tozzi quant à lui sobre, clair, précis pour dire la joie, non l'exaltation ou la jubilation, pour comprendre et nommer l'assombrissement, bien plus que la déréliction dépressive, l'angoisse culpabilisante. C'est de ces mémoires organiques, nourritures inconscientes infléchissant jusqu'aux morphologies à travers les rituels, les gymnopédies, les attitudes mentales, que naît l'expérience précipitée sur la page de Tozzi, nietzschéen libéré de son modèle écrivant " la naissance de la tragédie " et le " Zarathoustra " ainsi que l'écrit son traducteur dans sa postface.

          La sagesse sans le doute, l'incomplétude, les lacunes, ces dernières aussi tangibles que les irrégularités des cycles cosmiques, des calendriers solaires ou lunaires, ces secondes ajoutées ou retranchées des horloges atomiques, toutes ces trouées, traversées et perméabilités des mondes supposés clos, soit l'infini informe, non nommé, en friches - ainsi que les cartographes des constellations, des étoiles observées par les télescopes spatiaux ne trouvent plus le temps, ni n'ont la patience de nommer les mondes nouveaux autrement que par des chiffres et des lettres - sont les matières premières, senties et décrites par Tozzi. " Et cette introspection peut nous laisser on ne peut plus perplexes. Nous sentons que notre sagesse n'est pas libre, nous sentons qu'elle possède certains liens intérieurs si mystérieux qu'elle ne peut s'en détacher. "

          Tozzi invente de manière empirique de nouvelles formes de scrutation, de nouvelles façons d'objectiver l'âme décrite au plus près de ses actions concrètes autrement que le lâcher-prise, l'inattention suggérés par la psychanalyse ou la philosophie de son temps. Toutes ces médiations des sens tournés vers l'extérieur et le mental, Tozzi les vit de son intériorité, si bien que ses observations accouchent des formes neuves qu'il expérimente à son insu après avoir su trouver les tensions, les relâchements inattendus de l'attention. Son monde intérieur où l'âme va et libère de nouvelles formes faites de motilités imprévisibles, sans a priori, évoque ces lieux décrits par les ensembles des mathématiques imagés visualisant les lieux à cheval sur les mondes extérieurs et intérieurs, y ajoutant l'imprévisibilité des conquérants pacifistes qui n'ont pour arme que la curiosité, l'acuité de leur nature-espace à portée de mains, et le désir de connaître le monde à travers leurs sensations, têtes de pont de toute leur personne en vie.

          Il suffit, écrit Tozzi, de tourner vers le fond les barques et de regarder le ciel des profondeurs, de le décrire. Pour cela une langue fluide, cristalline s'invente en même temps que la pratique aphoristique. L'objectivité, faite des solidarités, des mélanges multiples et inattendus des eaux de l'âme et des régions excèdant le sujet lui-même, si cette langue faisait défaut, régresserait jusqu'à l'extinction, si bien que l'homme se couperait des forces naturelles, des énergies cosmiques et risquerait de se déshumaniser.

          " Je me suis mis en mouvement avec les écumes de la mer. Ma vie a été comme le chant des cigales dans un grand midi. / Me rapprochant de moi-même, je suis venu de très loin ; sans jamais me toucher. " Tozzi courcircuite les métaphores, ses images créent leurs usages, leurs pratiques, son livre a une construction aussi empirique, inattendue que nécessaire. Sans doute est-ce dû à une libération des contraintes formelles héritées des périodes romantiques et classiques antérieures, désuètes, au cours des deux premières décennies du vingtième siècle défigurées par la première guerre mondiale, et d'une nécessité, face à une liberté d'inventer, d'ordonner le chaos en formes inédites qui le définissent sans qu'il trahisse la part de lui-même faite des mondes extérieurs immédiats ou lointains.

          La déception, le découragement, le remords, développent les moments de vérité des états psychiques lumineux, les indépendances vis-à-vis des meilleures intentions de l'écrivain contrariées à son corps défendant, garantes d'une égalité entre sa psyché et les forces, les puissances naturelles. Tozzi contribue par ses états de vie transmis, à dispenser et faire vivre d'une façon nouvelle l'art dans tous les domaines de la vie des hommes, autrement sans doute qu'il l'a été avant qu'il soit inventé, la naissance de l'art coïncidant avec la séparation des sensibilités artistes d'avec les autres groupes humains.

 

 

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