FEUS II de Julien Blaine par François Huglo

Les Parutions

09 juil.
2024

FEUS II de Julien Blaine par François Huglo

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FEUS II de Julien Blaine

 

            Décidément non, la notice nécrologique n’est pas la « spécialité » de Julien Blaine, même si à la demande de Cristine Debras et Yves Bical il avait offert à Artgo & Cie. Au Coin de la rue de l’Enfer, en 2021, les « tombeaux » d’amis récemment disparus (Butor, Sarenco, Raworth, Totino, Guglielmi, Janicot, Curnier, Gatti…). Mais faut-il appeler tombeaux ces tables où, trinquant encore, ils reprennent leurs conversations ? Les revenants ne sont pas des morts (« La mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts », écrivait Épicure, nul ne peut donc en revenir). Les revenants sont des instants de vie. Et au « Plus jamais » du corbeau répond le « Une fois encore » de Julien. « Avec Tibor Papp je gueulerai une fois encore l’Ursonate pour amuser, intéresser et réjouir Bernard Heidsieck. Avec Henri Deluy nous nous engueulerons une fois encore mais pas sur la politique mais sur la pérennité ou non des revues de poésie ! (…) Jean-Pierre Verheggen m’apostrophera une fois encore au début de sa lecture : "Et toi Julô, le marseillais, tu sais bien de quoi je parle dans cet Artaud Rimbur !" ». La langue anglaise a des mots différents pour désigner le corps vivant, animal ou humain, et le cadavre. C’est le premier qui revient saluer, sur la scène « poélitique », comme l’écrivait Yves Bical. Il disait aussi « Les animaux sont politisés ! ». « Halte aux feus ! », lit-on en noir sur blanc face à une page noire. Car les feux ne sont pas éteints. Blaine les fait passer.

 

            Laurence Ferlinghetti « revient d’Italie souvent à pied où il est allé visiter la ville de ses ancêtres ». Né à New York, il « se définit comme un poète à l’œil qui ne cille pas », et a correspondu avec Julien Blaine « à propos de Claude Pélieu ». Jean-François Meyer, c’est une galerie, le festival Poésie-Marseille, et « un whisky, un de plus ».  Bernard Noël, c’est une « lettre inoubliable », sur un poème « fait de cassures, comme nulle part ailleurs accumulées ». Et John Giorno ? « Une bonté immédiate, une générosité ininterrompue, un sourire incroyable », les disques et vidéos du Giorno Poetry Systems, et des souvenirs de Cogolin, La Réunion, Périgueux, Montclar, Marseille, Paris. Michel Butel, « toujours malade », est « toujours amoureux. Toujours là ». Tibor Papp, l’un des fondateurs du groupe Laire (Lecture Art-Innovation-Recherche- Écriture), c’est Polyphonix, et Alire, « revue littéraire d’écrits de source électronique » : un « Ouvrier-poète-Ingénieur-poète-Programeur-poète-Éditeur-poète-Poète ». Henri Deluy, c’est Action Poétique de 1958 à 2012, avec une force culturelle de la gauche à cette époque et « Marseille en partage » (culinaire, entre autres). Joachim Pfeufer, c’est la Fondation Poïpoï : un Fichier, une « amicale des chercheurs ».

 

            Jean-Luc Parant, rencontré « il y a autour d’1/2 siècle », c’est le bonheur de disposer d’une salle entière pour son installation monumentale Mémoire du merveilleux dans l’un des espaces créés par Julien Blaine adjoint à la culture de Marseille de 1989 à 1995. Jean-Jacques Viton, « élégant, énervé et frileux », c’est le TQM (Théâtre Quotidien de Marseille) mais aussi Banana Split et le festival de poésie à Cogolin. Giulia Niccolai, compagne d’Adriano Spatola, c’est le secret du sourire de la Joconde : une madone sans enfant Jésus « car c’est toi le bébé qui regarde la peinture ». Jean-Pierre Verheggen, c’est une rencontre, mais la dernière ? Était-ce à Marseille ? Avignon ? La Châtre ? Romorantin ? Villefontaine ? Apt ? Michel Giroud, c’est « la voix du coyote » sur un répondeur. Roberto Altman ? Un cumul de 0 qui « rejoint l’infini ». Jean Ristat, c’est « la revue et la collection Diagraphe ». Et un « cercle de minuit » avec « Laure Adler, Paul Veyne, Adonis, Lokenath Bhattacharya, Michel Houellebecq, Jean et moi en avril 1996 (…) À part le rimeur qui devint un romancier auteur de best sellers, nous avions bien bu, bien dit, bien discuté entre nous, bien bu surtout et crié (un peu) ».

 

            Toni Negri ? « Je suis déjà pessimiste et il est encore optimiste », ce qui n’empêche pas Toni de dire à Julien au cours d’un dialogue à l’occasion de l’expo Julien Blaine au Musée d’Art Contemporain de Marseille : « Moi j’aime parler avec les gens comme toi parce que c’est mon histoire aussi ». Et « Tu ne peux pas, tu ne peux pas théoriser la désertion » Otar Iosseliani ? Un tournage « de 2 à 4 jours » pour le film Adieu plancher des vaches et « 3 ou 4 litres de vodka par jour », accompagnés « de gros cornichons malossols ». Jean-Claude Vernier, animateur de l’Agence Presse-Libération (A.P.L.) ? Pirate, qui deviendrait La Voix des Corons, puis Nouvelles Galères. Mais quand Pierre Victor (Benny Levy) a voulu, sans consulter personne, transformer « un journal au service des luttes en un journal stratégique au bénéfice de la G.P. (Gauche Prolétarienne), ce fut la dernière réunion de Julien Blaine, qui revint plus tard « sous le pseudonyme de Jules VAN (Vrai Art Nouveau : l’art du boycott, du sabotage et du vol ».

 

            Pour la soif de Paul-Armand Gette, Blaine cueille une mandarine exhibant une petite vulve, histoire de « reprendre l’écriture originelle à partir de la gravure essentielle omniprésente dans les grottes », ce « premier pictogramme devenu idéogramme et lettre ». Pour Louis Roquin, « le feuilletage des annuaires, c’est la musique dextérité manuelle ».

 

            Écrire sur des morts, Julien Blaine « n’y arrive pas ». Il le répète à Yves Bical : « Lire, dire, jouer, éditer, organiser, montrer, écrire, raconter, parler : tout était vie ! ». Yves s’est « simplement absenté ». Il revient, dès que Julien lui demande : Yves, as-tu du feu ? Yves et les autres. Épicures de rappel.

 

 

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