La Verte traVersée d’Olivier Domerg par François Huglo

Les Parutions

29 oct.
2022

La Verte traVersée d’Olivier Domerg par François Huglo

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La Verte traVersée d’Olivier Domerg

 

                Le promeneur Domerg n’est pas enclin aux rêveries. Terre à terre, il reprend « avec les lieux, le corps à corps ». Sur le motif, « à main levée » et « à l’air libre ». Il n’est pas solitaire, échange « quelques impressions » avec la photographe Brigitte Palaggi qui lui répond « l’appareil en mains, / Parlant, tout en cadrant je ne sais quoi ». Sa Verte traVersée du Cantal au printemps est dédiée à Pierre Vinclair « qui en est originaire » et commence par un douzain écrit à sa demande, publié par lui dans son livre La Sauvagerie. On croise aussi Albarracin, « Laurent » qui, « pour n’être pas à Ronceveaux / A compris ce que l’éclair doit à l’eau ». Ponge, à qui Domerg n’a cessé de se confronter.  Gil Jouanard, dont il cite souvent les Aires de transit. « Ne mêle pas, au texte, tes amis ! », écrit-il. Leur présence signale quand même des atomes crochus, des solidarités, des compagnonnages de route.

 

            Pourquoi des dizains ? « Ce vitrail de VERS est vitrail de VERT, / Dans les formes et les enchâssements desquels, / Se trouve signifiée toute parcelle, / Toujours, de haies, pourvue ». Dans le Cantal, les choses sont « beaucoup plus partitionnées » qu’ailleurs, et « selon "les besoins", organisées / Au max de ce que l’on pouvait tirer / Des lieux, des replats et déclivités ». S’y lit encore la sagesse de choix « diversifiant, certes, la forêt, / Mais point au détriment de la hêtraie, / Ni des chênes, ni des autres feuillus ; / Et, encore moins, de ces paysages / Agropastoraux, très souvent issus / D’équilibres hérités du bocage ».

 

            Domerg est un lecteur (actif) du paysage qui passe dans la langue (« vallée de la Maronne, / Qui est le NOM qu’incisa la rivière »), de même qu’une écriture passe dans le paysage (« L’on voit, telle une courbe de niveau, / Le trait de la route, passant très haut »). Pas un lecteur en diagonale : « Incertain est le travail de terrain, / Dès que l’on voit ou qu’on passe trop vite / (Trop de choses, oui, resteront non dites / Ou n’ont peut-être pas choisi leur camp ») ! ». Il le lit comme une musique, plus exactement une « affaire instrumentale » qu’il s’essaierait à « faire entendre ». Lecture entre les lignes, à traVers le paysage, de ce qu’il y a en-dessous ? Généalogie, recherche d’une origine ? « Tout ce que l’on voit étant le résultat / De fortes et lentes transformations » et « à bien des égards, des résidus : / Suite aléatoire d’opérations ». Mais « sens » et « dessein » semblent « perdus ». Sous la verte vêture, l’os minéral ? L’éruption du volcan ? « Difficile d’imaginer, dessous, / Sous les reliefs courbes, sous la douceur / (…) / Le volcan qui en fut à l’origine ; / Dès que, seuls, l’eau et le vert printemps / Éruptent, et font ici irruption ». Ce n’est pas Malcolm Lawry, c’est Stravinsky ! « Le VERT babillard d’un Babel prairial » renvoie « le volcan inaugural / Dans l’oubli caressant du végétal ! ». La lave est délogée par la « verdure » qui « nous lave de tout ! ». Par « l’alchimie de la photosynthèse / (…) / Le moindre brin d’herbe purge le ciel ».

 

            Les dizains sont des vues successives, « Car VOIR en une fois n’est pas assez / Pour percevoir, ensemble, toutes choses ». Des touches, peut-être, à la Cézanne, pour revenir à la Sainte Victoire. Domerg veut « VOIR le dessus, mais par l’en dessous : / Les lignes de force et l’élémentaire ; / Sous l’habillage, le fait rudimentaire // De la Nature et de la main de l’homme ! ». Parcellaire, burons, troupeaux, tout apparaît à travers des jumelles « plus nettement, / Telle une syntaxe des plus têtue ! ».

 

            Cette esthétique de la ligne claire est aussi une politique, attentive à la menace de zones douteuses, corrompues : « La prairie est-elle en train de céder / Devant les genêts, les surgeons d’arbustes, / L’étoupe des chardons rouillés et rustres, / Et l’avant-garde de l’enfrichement ? ». La « hêtraie d’origine » s’enrésine. Une « élucubration plastique » le crie : « la CONSOMMATION, / Érigée en principe et société », menace « l’équilibre institué // De l’économie agropastorale, / Qui verra bientôt la mort du Cantal ? ». De quoi avoir « honte / D’être humain, en ces temps de Néant, / De folie dispendieuse et destructrice ! ». Mais comme le « VERT » qui « se propage, telle l’onde, / Sur la prairie qu’agite le vent », court à travers l’écriture de Domerg un enthousiasme communicatif. Sève, verve, et force qui va. Peu lui chaut « d’être honni », le « clergé moderne » l’ « indiffère ». Lui reproche-t-on « De trop en remettre sur le motif » ? « Que nous importe, vraiment, ceux qui bavent ? ». Ceux qui reprochent des calembours et une « bonne humeur qui trop exulte » et serait « pour notre époque, une vraie insulte ! ».

 

            On aura remarqué, au bout des vers, des rimes irrégulières, qui peuvent s’imposer sans surprises : paysages – usages – visages – alpages  - pelages. « Cantal » - « Feu central » relève de l’évidence. D’autres titillent l’œil ou l’oreille : « des trognes renfrognées » avec « Se soucient-ils que vous trouviez ça niais ? ». Ou « clôtu- / (« res », au début du vers suivant) avec « ce qui s’est tu ». Ou « élingue » avec « meringues », « Néronne » avec « neurones », « zone » avec « rhizomes », « Renouveau » avec « veaux ». La rime peut être intérieure : « L’impradine, qui se radine enfin ». Ou « Jusqu’à l’ovale de vallée parfaite ! ». La lettre elle-même peut rimer avec le paysage : des points d’exclamation avec les cyprès qu’ils dessinent, et le U, le X, le S, avec le creUx, la croiX, les méandres d’une « encre d’eau, ciSelée dans le VERT ». La rivière s’inscrit quand elle « S’écoule, Sinueuse ».

 

            Ce livre n’est « pas une fiction » mais le récit d’un retour au pays rencontré fin mars 2014, retrouvé quatre ans plus tard, et simultanément, d’une expérience poétique. « Rien ne vient ici engraisser ta page : / L’allure t’oblige à la sécheresse / Au vif condensé plutôt qu’au détail ! ». Ou : « Domaine rare de la sensation : / Je tourne autour, depuis un certain temps, / Sans parvenir à sa juste expression. / Tout dans l’écriture est acharnement ! ». Entre « ce qui fait paysage », ce qui « le livre / À nos regards », et ce qui fait le paysage (le façonne, le transforme), ceux qui le font (leurs « différents usages », leur « vouloir économique à l’œuvre »), la subjectivité d’une présence au monde s’ouvre à une « présence du monde ». À une « vérité du vert ».

 

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