Le mémo d'Amiens de Jean-Louis Rambour par François Huglo
Dublin eut son Joyce, Amiens a son Rambour. Et c’est très bien aussi. Toutes les Odyssées du monde se croisent dans ce dédale qu’est une ville, même et surtout rebâtie sur les ruines de la Grande Guerre comme ses H.L.M. ont été bâties sur celles des fermes. Cosmopolitisme picard, internationalisme provincial ? Ce n’est pas l’épopée qui manque, même si les héros sont le plus souvent appelés par leur prénom, vivent dans des petites maisons, les emplissent des petites odeurs qui composent leur atmosphère. Pour le passant distrait, ces héros ne seraient personne. Jean-Louis Rambour flaire et partage leur mémoire dans celle de leur rue, de leur maison. Il nous entraîne sur la piste de Pessoa incognito, poète insoupçonné, héros ignoré, qu’il nous invite à reconnaître. Discret, pudique, souvent blessé, voici Ulysse dans son jus ! Il (ou elle) doit sa survie à des patiences de Pénélope. Un prénom, une rue, et une maison entre les deux ? L’intimité du nid n’en fait pas une cage. Les destins se croisent. Ici, l’homme n’est pas toujours un loup pour l’homme. Dans l’exotisme des prénoms, s’échange l’odeur des semblables. « Une poésie qui ne sent pas l’homme me laisse froid, absolument », déclarait Jean Rousselot au cours d’un entretien. Comme ce « mémo » lui aurait plu !
Ici Monsieur et Madame Tellier Surtout Monsieur
L’empereur des épiciers On ne pèse plus les pâtes
Le riz la levure On ne râpe plus le fromage
On ne surveille plus l’intégrité des grains de café
On ne se fait plus servir C’est le début du non-partage
On apprend le mot self-service on s’en repaît
On découvre d’autres mots anglais les jeeps
Les booms twist week-end holiday on ice
Le curé tente d’excommunier le chewing-gum
Mais en vain On entre dans l’ère du self et du look
L’empereur des épiciers du quartier compris
Je vais tous les écraser dit-il devant son œuvre
Un homme pourtant qui n’invente pas la poudre
Moins encore la Révolution Moins encore la beauté