Mars et ses ides de Bartolo Cattafi par René Noël
Pollen d'Eole
Bartolo Cattafi né la même année - juillet 1922 - que Luciano Erba, à Barcellona, Messine, mort à Milan - mars 1979 - lie lui aussi sa pratique du vers à "la ligne lombarde". Attachée à l'épure, à une simplicité incarnées par la poésie de Vittorio Sereni. Bartolo Cattafi creuse jusqu'en leurs intériorités et tout autour d'elles, autant vers tous dehors que depuis eux, la fugacité, la fragilité, l'humilité, la frugalité. Prend sur le vif leurs attitudes qu'il accentue jusqu'à les détacher de tout parti-pris esthétique et a fortiori moral. Un coup à dédale Nous aurons infligé / un coup sévère à dédale / si en pleine lumière / en plein air / nous étudierons la tromperie de la laine / dont est fait le fil qui mène / à la tortueuse complexité d'ariane.
Atomes, particules. Bartolo Cattafi se poste à l'avant-scène, au printemps, saison de tous les possibles où même la guerre à la guerre, la lutte pour l'évincer, devient elle aussi cette utopie passée au crible du souffle du poète qui crée après 1945 *. D'où l'actualité d'un pessimisme lucide agrégé à toutes matières fondamentales du réel, jusqu'à redistribuer les cartes de l'invisible. Les faits, les abstractions, les pensées, les sensations et perceptions se greffent les uns aux autres selon des axes cosmiques nouveaux. Une limpidité persévérée débouche sur une réalité dont les matières autant que les affinités électives sont inédites. Surprennent, semble-t-il, autant le poète que ses lecteurs.
L'isomorphose - la mise en relation de réalités hétérogènes préservant leurs intégrités - appliquée à froid, logiquement, et insistée par le poète, dégèle les héritages des arts poétiques stagnants. Crée et image leurs postérités, affirme leurs devenirs niés, sons et sens inouïs. La grandeur de vue de Bartolo Cattafi coïncide avec l'étendue où l'histoire et l'éternité forment l'infini selon des priorités subverties. Les transformations opèrent leurs manœuvres sous les yeux du poète. La nature, l'humanité, l'individu, sur un pied d'égalité, décident, sont tour à tour à la barre et à la proue du réel, non de façon arbitraire, mais selon leurs évolutions réciproques. Pollen d'Eole, les substances de chaque entité changées selon les actions de chacune d'entre elles sur le tout en mouvement.
La poésie ne se paraphrase pas. Même sa critique la plus conséquente tourne tôt ou tard à la parodie. Pourtant Bartolo Cattafi note en musicien étoilant sa partition de signes, de tempi, encourage par la seule pratique du vers, libéré de toutes idéologies, l'agir. Amorce l'évidence d'avoir à s'exposer sans oblitérer sa singularité, geste d'une auto-évaluation critique - sauvetage du " mot à dire à propos de " ainsi que le traducteur le démontre dans une postface éclairant les enjeux de cette poésie rare et méconnue de ce côté-ci des Alpes. A changer ses vues sur ses histoires propres et les plus communes, à se défaire des buts qui ne sont que l'itération de croyances passées qui à plus d'un titre ont failli. Ides, voies du milieu de la modernité qui substitue les coexistences libres de tous préjugés du chaos et de l'ordre aux déterminismes étroits et aux cours linéaires, cumulatifs de l'histoire. Joutes et complicités du polemos et du logos où l'imprévisible et le transitif, l'intraduisible et les quatre éléments naturels, participent activement, à tous les instants, d'une création ici et maintenant, découvrant les joies de l'incertitude dissipant l'angoisse usurpatrice, castratrice d'un devenir fixé.
* Mars et ses ides, Je me méfie de tout / du poignard de brutus / de la chair tendre de césar / du destin lui-même / que passe vite le temps / que viennent à la fin mars et ses ides.