Miroir du Trichoptère d'Hubert Duprat par François Huglo

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08 juin
2020

Miroir du Trichoptère d'Hubert Duprat par François Huglo

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Miroir du Trichoptère d'Hubert Duprat

            Imaginons l’arche de Noé portant un seul insecte et toute la mémoire humaine. Un atelier d’artiste et la Grande Bibliothèque. Un laboratoire et une vie humaine. Miroir du Trichoptère : celui que nous lui tendons et celui qu’il nous tend. Transports, métaphores, métamorphoses, de son monde au nôtre, d’une monade à l’autre. « Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres » (Marcel Proust). Pourquoi ceux du Trichoptère ? Et pourquoi pas ? Hubert Duprat : « La collecte ne s’est pas faite sans difficultés, mais l’entêtement quasi obsessionnel dont a résulté cette somme s’est, je crois, transformé en méthode —et celle-ci aurait très certainement pu prendre n’importe quel objet comme motif… Autrement dit : presque tout pour presque rien ». Chaque monade est miroir du monde. Leibniz : « Chaque miroir vivant représentant l’univers suivant son point de vue, c’est-à-dire chaque monade, chaque centre substantiel, doit avoir ses perceptions et ses appétits les mieux réglés qu’il est compatible avec tout le reste » (Principes de la nature et de la grâce fondés en raison).

            « Les merveilles inconnues du fond des eaux », comme les appelle le chanoine C.H. de Labonnefon dans ses Croquis Entomologiques (1923) peuvent être observées en aquarium. Pour Jean-Baptiste Bullet, « l’Existence de Dieu » est « démontrée par les Merveilles de la Nature », qui défient « les Artistes les plus industrieux ». Charles-Athanase Walkenaer (1802) parle de l’ « art admirable » des larves qui « s’enferment dans des tuyaux allongés, composés de petites pierres et de tiges morcelées de plantes aquatiques qu’elles lient et réunissent ensemble ». Ce travail tient à la fois de la maçonnerie et de la joaillerie, d’où l’entrée « art, décoration et ornement », titre justifié par de nombreux témoignages écrits, photographiés, dessinés, peints… dont celui de Franck Herbrecht, Olivier Durand, Floriane Keras et Jean-Paul Quinette : « Cette faculté de bâtir a même inspiré un artiste français, Hubert Duprat. Il a mis à disposition des larves de nombreux petits matériaux colorés (paillettes d’or, cristaux, billes de couleur, perles, etc.). Celles-ci ont donc fabriqué d’improbables fourreaux, sorte de bijoux aussi déconcertants que fascinants. Reconnaissons que la démarche artistique est vraiment intéressante et donne à réfléchir : qui est l’artiste dans ce cas ? L’art relève-t-il du produit final ou de la démarche de production ? ». Certainement des deux, et d’une active collaboration entre l’homme et l’insecte. D’une émulation, même : tel style d’aménagement intérieur « fait penser aux incrustations d’une larve de phrygane ».

            Le monde dont s’entoure Hubert Duprat —on dirait sa gaine, s’il était trichoptère— rappelle à Christian Besson le « cabinet de curiosité, comme il y en avait à la Renaissance, ou Wunderkammer, lieu de merveilles, comme on dit si bien en allemand ». Duprat lui répond en évoquant son enfance campagnarde, sa passion précoce pour l’archéologie et les sciences de la nature, ses observations des aquariums, ses interventions dans le prolongement de celles du chanoine de Labonnefon ou de Jean-Henri Fabre qui, comme Platon, Aristote, et plus tard Maeterlinck ou Étienne Souriau, comparait l’insecte à un artisan. Y a-t-il création, innovation, comportement esthétique ? La discussion reste ouverte. Pour Christian Besson, l’antinomie entre œuvre de l’insecte et œuvre de l’artiste « se résout par la distinction des points de vue ». Leibniz n’aurait pas mieux dit. Leurs « cohérences aventureuses », préciserait Roger Caillois.

            Et la bibliothèque ? Miroir du Trichoptère contient plus de 1600 ouvrages. Richard Brautigan utilise la larve de la phrygane pour pêcher à la ligne. André Dhôtel voit dans les « porte-bois » des « bassets qui se seraient enfilés dans une gouttière et auraient pris le parti d’y rester ». André Gide les a élevés dans une cuvette, Arthur Koestler admirait leur ingéniosité, Thomas Edward Lawrence s’identifiait à eux. Michel Tournier : « L’interaction entre les différents règnes —animal, végétal et minéral— est l’une des obsessions de Duprat. En plantant des milliers de clous de tapissier dans des troncs d’arbres, il les transforme en d’énormes serpents couverts d’écailles métalliques —un végétal portant une cotte de mailles. Ces troncs vêtus de métal évoquent une autre transformation de notre démiurge, celle des phryganes qui se parent d’une armure d’or ».

            La bibliothèque devient livre multipliant et amplifiant l’émerveillement enfantin face au dictionnaire Larousse, aux encyclopédies, aux manuels de leçons de choses devenues sciences de la vie et de la terre. Elle est aussi devenue exposition, présentée pour la première fois sous la fiction de la Dernière Bibliothèque, en 2012 à Genève. Christian Besson : « l’érudition de Hubert Duprat n’est pas en trompe-l’œil, comme chez Borges : sa bibliothèque n’est pas imaginaire, il ne mime pas une méthode scientifique ». S’y rencontrent pêcheurs au lancer, entomologistes, pédagogues, romanciers, poètes, et chacun des visiteurs. Besson cite Genette : « La forme moderne du fantastique, c’est l’érudition ».  La forme ancienne du conte n’est pas négligée. On lira, peut-être à des enfants ou avec eux, ceux (illustrés) de Charles Kingsley, M. Sullivan, Clara Dillingham, Ada et Eleanor Skinner, Helen S. Woodruff, Owen Bowen, Yann Larry (traduit du russe), James Blish. D’archéologie en brevet d’invention, de Grand Architecte en Grands récits, du mot à la chose, de microscope en rayon X, de métaphore en métier, de mosaïque en marqueterie, de pop en ready made, entrons dans l’aventure vertigineuse, plongeons la main dans le courant aurifère, fossilifère et vivant du livre, pour « saisir » !

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