Œuvres de Vélimir Khlebnikov (1919-1922) par René Noël
L'ère-élan Vélimir Khlebnikov
Issues, tissus, langueurs et longueurs, véronique, passe fameuse de la tauromachie, les paronomases - ces mots aux sonorités proches dans un vers - tourbes tourbillonnées,
" Le vé de la tempête des yeux / le la du canon face au rayon de lune / le la du sang sur la terre / le ni du chant le po des plaintes / le go du silence - chevaux s'ébrouant / le go des selles " (1)
ascendantes aux confins d'aube et de déserts, figure et visage d'une géométrie prise sur le vif dans la nature - rayons du soleil verticaux où l'œil et le dehors se corrigent et s'abusent mutuellement - et du hasard unis, sont un moyen (moyeux) possible d'entendre Vélimir Khlebnikov.
Sons et sens parce qu'inconciliables - l'impossible n'est-il pas le propre de l'homme ? - sont liés, sans avoir à les opprimer ni à les déformer, le linguiste Roman Jakobson écrivant de Vélimir Khlebnikov qu'il a été son meilleur ami, ayant eu avec lui de longues conversations, et qu'il est le plus grand interprète des subtilités internes et externes des langues, du langage humain. Tous les poètes russes connus de son époque, de Vladimir Maïakovski, Ossip Mandelstam, jusqu'aux obérioutes venus après sa mort, Daniil Harms, Guennadi Gor, jusqu'aux temps de la Pérestroïka de Gorbatchev, Elena Schwarz, Nina Isrenko, Ivan Djanov... aux poètes d'aujourd'hui, ses traducteurs, dont Paul Celan en allemand, voient en lui, au-delà d'un jugement du goût, le Pouchkine de l'âge d'argent, le poète qui incarne la modernité - dont Theodor Adorno dit qu'elle ne relève pas d'une époque, mais acte un parti-pris de sauvegarder les intégrités des singularités irréductibles, des qualités dressées contre leurs négations, les quantités qui gouvernent le monde en annihilant les différences.
Yvan Mignot dont les traductions du futurien Khlebnikov - futurien qui traduit l'étendue spinozienne, les mythes et l'histoire afin de sortir de l'âge de fer, des servitudes volontaires qui font des usurpateurs, tsars et bureaucrates, énarques, des dieux vivants de la domination, excède l'avant-garde futuriste qui n'a que peu de rapports avec ses faux-amis italiens que Khlebnikov raille, précise Yvan Mignot - paraissent depuis plusieurs années en revue, publie en cet an dix-sept, cent ans après février et octobre dix-sept, les écrits, les manifestes, poèmes, théories, lettres chronologiquement, de dix-neuf cent dix-neuf à dix-neuf cent vingt-deux, du géant de Kazan. Aux carrefours de toutes les cultures, Khlebnikov crée une alchimie actuelle où ni la raison ni ce qui l'excède ne capitulent l'une par rapport à l'autre. La culture slave qu'il voit, cheval de Troie qui subvertit de l'intérieur le culte de la violence des scythes et des tsars, défait le laisser-faire, la passivité Oblomov, reçoit ses nourriture d'Iran, des Orients, réinterprète les mythes, Igor, Razine..., en quête de la langue stellaire.
Les tables du destin ne sonnent t-elles pas le passage des idéologies personnelles, en amont des ventriloquies du judaïsme, et du brahmanisme, à une ère de la liberté libre effective, écrite avec tous les moyens humains du rêve et des songes, et non plus désespérement espérée sans contenu ni méthode ?
Nous, Présidents du globe terrestre, amis du Fatal , amis du Chant, le Ier juin 1918, reconnu pour un bien d'incarner la pensée... il n'est pas indifférent que ce volume commence par cette adresse aux terriens, légende immédiate aux yeux du lecteur - ainsi qu'Arnaut Daniel reste irréductible dans la Comédie aux yeux même de Virgile et Dante – quelle que soit son ignorance du russe, de la langue slave. Razine, étoile fixe et filante, poème inspiré d'un insurgé du dix-septième siècle, historique et légendaire, Zanguezi, poème présenté au théâtre avec l'aide de Tatline signent autant des échecs que des réussites, écrit à leur propos Yvan Mignot, sont des images sonores, lieux où le lecteur entre, magnétiques à l'aune de la matière nocturne à ce jour inconnue, chance des générations à venir, des mots-élans et signaux qui ne sont seulement noms de l'infini, mais interprètent toutes les vies passées, les époques et ères immémoriales, ainsi que Iouri Tynianov, contemporain de Vélimir Khlebnikov, l'écrit.
Nicolas Lobachevski, mathématicien qui révolutionne la géométrie euclidienne, est l'autre figure tutélaire à laquelle le poète, qui vit la révolution loin de Moscou, auprès des hommes, sur le front, nomade, explorateur-créateur au plus près de la matière psyché-humaine, s'identifie. C'est à ses côtés que Khlebnikov invente une forme d'ésotérisme exotérique, démocratique, Toute la plénitude de la langue doit être décomposée en unités fondamentales de " vérités aplhabétiques " et alors pour les sono-matières peut être construit quelque chose du genre de la loi de Mendeleïev ou de la loi de Mosley - dernier sommet de la pensée chimique. (2) Alternant poèmes rhapsodiques, " chamaniques ", notes, brouillons, la perfection, si elle devient dans cette œuvre anecdotique, n'en est pas moins unique elle aussi, Infusion de pavot vermeil / ce pousse rapière des sons / Carbone fin versé - ce violoneux en larmes [1920] frappante, née d'une immédiateté que Varlam Chalamov, après sa sortie du gel de la Kolyma ne cesse de louer, mémoire de sa jeunesse et de ses, nos, futurs.
1 Langue stellaire, p. 263
2 p. 117