Petit précis à l'aide d'un exemple sur l'écriture originelle de Julien Blaine par François Huglo
Petit précis grand format, petite synthèse de grands travaux, digest d’une geste, écrit, composé, illustré et mis en page par l’auteur au début de l’été 2018, voici le résumé du corpus de l’Écriture originelle, entre l’aurignacien, 40 à 50 000 ans, et l’azilien, moins de 15 000 ans, intitulé Les Cahiers de la cinquième feuille : 2 catalogues, 8 numéros des cahiers, 3 livres d’artiste, 1 CD, 3 DVD, près de 1500 pages publiées. Des « découvertes récentes de Cosquer à Chauvet en passant par la secrète et discrète grotte de Cazelles nous savons d’où nous venons », nous savons d’où vient « notre rapport au noir profond, aux animaux alliés, à la nature, à ses éléments ». Envers et contre les patriarcats monothéistes, s’impose l’insistance de cinq représentations unies comme les doigts de la main et superposables comme les pages de ce précis : l’image, sa gravure, le pictogramme, l’idéogramme devenant signe et lettre, les digressions et dérives de l’art moderne depuis Courbet. Feuille, plume, poisson, œil, vulve, « toujours le même signe : l’ovale vertical & fendu ou percé ». Ces cinq feuilles sont « sous le sabot de l’âne » et dans la main qui serre l’osselet de Hasanlu.
Au cours d’une conférence au musée de la préhistoire de Tarascon/Ariège, le poète retrace les étapes de son travail : de 1992 à 1997 avec la publication d’un premier corpus en 1998, Du sorcier de V. au magicien de M. Les pictogrammes du Codice Boturini, le lapin Toltèque, la parenté entre le Golem de Prague et le Koyem des indiens Hopi, les rites autour de Tanit et des mythes apolliniens et solaires, l’identité entre l’Ayïn de l’hébreu et l’alpha du grec, l’observation des feuilles des arbres du lac Stanberger en Bavière, « l’écriture moderne de la vulve : æ x œ & (l’esperluette) 8 (la ciboulette) », mènent au second catalogue, La cinquième feuille, en décembre 2000. La position du poète est celle d’un lecteur : de ce qu’il voit inscrit dans la nature et dans les signes, d’auteurs qu’il cite : Henri Laporte, André Leroi-Gourhan, Alain Roussot, Brigitte et Gilles Deluc, Jean-Pierre Duhart, Denis Vialou, Jean-Guillaume Lalanne, Joëlle Robert-Lamblin, Yanik Le Guillou et surtout Jean Clottes et Jean-Jacques Cleyet-Merle.
Éclairée, la recherche n’en est pas moins intuitive : « Je réinvente des rites certainement inexacts, mais aujourd’hui, en art contemporain cette appropriation, cette inexactitude, cette erreur s’intitule performance. (…) Je vis dans l’erreur, cette erreur me comble. (…) Comme les enfants, je fais semblant de connaître, je fais semblant d’y être, je fais semblant d’en être (…) …mais sait-on jamais ? Peut-être de temps à autre je tombe juste, vrai ».
Cette enfance, à la fois ludique et lucide, de la lecture exploratrice, peut nous rappeler le texte de Mélanie Klein, recueilli dans les Essais de psychanalyse et cité par Jacques Derrida (De la Grammatologie) où, pour le petit Fritz, i et e roulent ensemble sur le porte-plume, presque pareils, mais i a un petit trait et e un petit trou. Les i possèdent des armes pointues et vivent dans des grottes. Pour Mélanie Klein, « l’écriture pictographique ancienne, fondement de notre écriture, est encore vivante dans les fantasmes de chaque enfant en particulier, de telle sorte que les divers traits, points, etc. de notre écriture actuelle ne seraient que des simplifications résultant de condensations, de déplacements et de mécanismes avec lesquels les rêves et les névroses nous ont familiarisés, —des simplifications de pictogrammes anciens dont il resterait cependant des traces chez l’individu ». Derrida précise : « la trace n’est pas seulement la disparition de l’origine, elle veut dire ici —dans le discours que nous tenons et selon le parcours que nous suivons— que l’origine n’a même pas disparu, qu’elle n’a jamais été constituée qu’en retour par une non-origine, la trace, qui devient ainsi l’origine de l’origine. (…) La trace est en effet l’origine absolue du sens en général. Ce qui revient à dire, encore une fois, qu’il n’y a pas d’origine absolue du sens en général ».
Les hypothèses intuitives, les lectures actives de Julien Blaine trouvent d’autres confirmations dans les Mystères de l’alphabet de Marc-Alain Ouaknin : le signe de la lettre Ayin/O en proto sinaïque représente l’image d’un œil, et fait partie des lettres rencontrées sur le petit sphinx de Sérabt-el-Khadim. Sa forme vient directement des hiéroglyphes égyptiens. Ayin signifie l’œil en cananéen/phénicien. Il est devenu l’omicron grec, le o latin, celui de notre alphabet moderne, où le o en amande de l’œil a évolué vers une forme plus arrondie, avec ou sans point au milieu pour marquer la prunelle. Le mot Ayin signifie le néant, le rien, dont l’expérience fonde la liberté.
La caverne maternelle, vulve aux parois couvertes de vulves cicatrices, fait retour dans le mythe platonicien où l’intelligible est d’abord lisible, dans le Cabinet de lecture de saint Jérôme, le studiolo, la librairie de Montaigne, le poêle de Descartes, l’espace de lecture que Lucrèce Luciani, dans le prolongement de Cicéron, considérait comme « une grotte où votre pensée vient s’écarquiller ».
Dans la grotte de Blombo en Afrique du Sud, le plus ancien dessin au crayon jamais découvert (73000 ans), des croisillons tracés sur un caillou, porte l’image de « l’une des cinq feuilles, plutôt le poisson ». Avec lui et avec Julien Blaine, à la barbe du « dieu unique et assassin » et du patriarcat clérical, nous remontons le courant.