Poèmes du hall de Géraldine Geay par François Huglo
Rien qui pèse, rien qui pose, c’en est même déconcertant. C’est ingambe, impromptu, bouquet de fleurs coupées de toute référence, mais fraîches. Plutôt qu’émaux, camées, et bibelots, « une bague / en fruit », un « diamant bio / Parce que d’habitude je suis sans bijou ». Chacune des séries millésimées (2015, printemps 2016, été 2016) « se bâcle comme un poème » où « tout est inédit et à plein cœur ».
Le souvenir, « jeu de mémoire », ne s’empâte pas : nul « moi » ne prend en masse. Nul événement à « ressasser ». Juste l’instant « parfait et unique », celui où je peux « traîner toute ma vie ». Je me prends au jeu car il s’est pris au jeu : dans un « musée national » qui ressemble à un « petit magasin », l’Arabische Stadt, seul tableau éclairé devant la grille, semblait une invitation au vol. « Je me suis demandée si j’avais le droit / Si elle était du jeu ». Quand Géraldine Geay tire sur tout ce qui bouge dans la mémoire, c’est du tout, tout de suite :
« Montre comment je tire
Sur tout de suite pour vite
Retrouver la grâce temporaire
Montre que la musique royale
Stresse n’importe quoi la suit
Je comprendrai que tout se meut
Dans des vannes éternellement ouvertes »
Quelle musique royale ? Quelles suites stressées ? Un exemple : on se souvient d’une note, parue sur ce site, où Géraldine Geay déplorait que dans L’écharpe rouge, tout soit théâtre dès que « l’homme Bonnefoy » est « roi de ses écrits ». C’est « en parlant passionnément et brusquement » de Pierre-Jean Jouve que « l’enfant Bonnefoy retrouve sa prononciation et sa fréquence cardiaque », celles d’une « poésie » qui « tient toute seule ». Géraldine Geay a l’alexandrin ludique : un néo-lyrisme secoue les prothèses de l’ancien. « Une saga, un book : / Je pris deux fois le train, vous le prenez deux fois ». Ou : « Et les sources sitaires historico-people ! ». Comme d’autres la blue note, elle cherche le lien bleu :
« Travailler à quelque chose qui aura un lien bleu
Tout ce CV à mots rouges, liens vierges
Au titre enfin bleu, encore dit par personne ».
Convolent des lettres d’amour et d’éphémères biographèmes, témoins d’ « Une misère qui ne soit à personne / Pour qu’elle nous endolorisse tous » : « Ado je grattais du mobilier urbain / Des trucs vissés par la mairie / Secs, et qui seront jetés ». Ou : « Je suis entrée au salariat comme à un cabaret / Où l’on ne rougit plus puisque ça ne se voit pas ». Ou : « L’amour rebouché / Par quelque chose d’aussi froid qu’une administration ». Quelque chose, pourtant, de « la chose envolée ».
Déjà le précédent recueil (le premier) montrait dans sa course des « talons encollés d’huile de fleur ». À semelles de vent, pas gagnés.