Poésie sonore, éléments de typologie historique de Jean-Pierre Bobillot par François Huglo

Les Parutions

30 août
2009

Poésie sonore, éléments de typologie historique de Jean-Pierre Bobillot par François Huglo

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…BRUITONS !






Quoi de neuf ? Le refoulé.

Si un livre d'histoire ne sent pas le musée, la poussière, le jeu moisi que maudissait Rimbaud, c'est bien celui-ci, qui tient de l'encyclopédie (on trouvera en ces « éléments de typologie historique » quantité de fiches indispensables à l'initié autant qu'au néophyte : sur Dada, Hugo Ball, Schwitters et son Ursonate, les Hydropathes, les Futuristes italiens et russes, etc.) et du roman d'aventures dont les héros - de René Ghil à Pierre Albert-Birot en passant par Tristan Tzara et, d'un cabaret à l'autre, Goudeau et Rollinat, d'August Stramm au trio (dé)concertant Chopin-Dufrêne-Heidsieck et au duo Jaap Blonk-Christian Bök (puisqu'ils « font montre d'une comparable et désopilante virtuosité buccale »), du « protéiforme, inétiquetable » Bob Cobbing à Michael Lenz ou à Sébastien Lespinasse (« un de ses plus notables successeurs en puissance et intensité phonatoires »), sans oublier Christian Prigent, Jean-Pierre Verheggen, Alain Robinet, Sylvie Nève, et tant d'autres pionniers (l'auteur les connaît tous) - n'ont rien de défraîchi, de compassé, d'officiel.

L'aventure commence et recommence. Le cabaret Voltaire a ouvert les portes à un vent qui continue de souffler « pour ceux qui n'ont pas peur de perdre leur casquette et leurs pantoufles » (Michel Giroud, « Daderidada »). Derrida ? On se souvient de sa Grammatologie, « typologie historique » d'un refoulement de la lettre, de l'écriture, dont les étapes portent les noms de Platon, Rousseau et Lévi Strauss. Une chronologie du sonore actif (de l'action sonore), qui n'occupe pas moins de vingt-quatre pages, commence ici par 1781, année de la publication de l'Essai sur l'origine des langues, de Rousseau, précisément l'ouvrage que détricotait le philosophe, et le point de départ du travail de René Ghil qui lui-même fut à l'origine de tout ce bruit dans le Landernau poétique. Mais pour Bobillot, le refoulement est celui de la prose par le Vers, du calembour par l'Esprit, du signifiant par la Mimesis, de la lettre par le Vers, la Prose et la Langue, de la langue ordinaire par le prétendu « langage poétique », du corps, du pulsionnel, par le lyrisme sentimental et métaphysique, de la matière par les idéalismes, de Rimbaud et de Ghil par Mallarmé, d'Apollinaire par Breton, de dada par le Surréalisme, du « bruit » par le Son et la Musique...

L'archéologue Jean-Pierre Bobillot retourne et fouille avec une minutie sans ménagement chacun de ces terrains où son retour (son recours) aux refoulés n'attend pas, en détournant l'attention, qu'ils fassent retour. Le trésor qu'il exhume - « le sonore du temps » - n'est autre que « la faRce cRachée de la pRoésie au XXe siècle » : un précieux condensé de ses travaux, le précis d'un praticien, une carte invitant l'explorateur à naviguer comme sur le web, entre les nombreuses entrées livrant l'accès aux terres inconnues. Car il en reste. Pour Artaud cité en exergue, y aller voir est « un devoir » : l'écrivain et le poète doivent sortir du livre (bien des livres nous poussent vers leurs sorties) « pour secouer, pour attaquer l'esprit public ». Les poètes sonores relativisent le Livre au profit du live. Changer la vie, n'est-ce pas ébruiter ce que la Com n'a pas réussi à étouffer ?

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