Poésies de Guy Ferdinande par François Huglo
Pas de nostalgie des recueils de poésies destinées aux récitations. Aucune référence non plus, même implicite, aux Poésies de Ducasse, bien qu’au bout du fil de la prose frétillent quelques prises qui peuvent ressembler à des aphorismes : « Si les hommes s’apparentent de moins en moins à la terre, la terre ressemble de plus en plus aux hommes dont la durée de vie s’allonge à mesure que le temps de se refaire leur échappe », ou : « La vie ce n’est pas tant d’être vivant que ne pas avoir choisi de l’être », ou : « Le blablabla du net est bien moins net que le glouglou du tuyau d’arrosage », ou : « La connexion aux outils de l’information suffit à l’information ». Il faut les saisir vives, les goûter dans leur jus, cela nous permettra « de vérifier que de l’appétit à la philosophie, pour qui sait sur quel quai la correspondance, il y a une ligne directe ». De la poésie à l’amour aussi, ou plutôt du « sentiment amoureux » au « sentiment poétique ». Indissolubles : « Quand l’un nous anime, l’autre l’accompagne, et réciproquement ». Si l’un est « à réinventer » (Rimbaud ne parlait pas « en l’air »), l’autre aussi, au fil du désir qui donne à « certains mots » le « fulgurant pouvoir de métamorphoser l’existence ».
En attendant (activement), « poésies » reste au pluriel : « pour rire », « pour dormir debout », « pour saluer l’éternel retour du bourdon », « pour sortir le cabot en rentrant du travail », « pour un brusque brushing de l’être », et autres programmes donnant leur titre aux trente huit « poésies » qui s’affichent en table des matières. Leur point commun ? « L’invariant le mieux placé du monde » ? Ici c’est un titre à la Jean Wahl qui s’impose à Guy Ferdinande : « L’Ennui poétique ». Si la poésie est « chiante » (peut-on se dire « entre poètes »), « c’est qu’elle ne sait pas qu’on attribue cela à sa nature. C’est tout à fait calomnieux mais semblable en cela à l’amour, la poésie ne craint pas la cécité ».
L’ennui, c’est peut-être l’autre, ou celle dont on dit qu’on ne voit pas ce qu’un autre lui trouve : « Personne ne s’intéresse à la poésie, mais si d’aventure il t’arrive d’en parler, illico les gens se figurent que cela consiste à écrire ce qui ne les intéresse pas… Ce qui n’est pas faux dans le cas de ceux qui n’écrivent pas de poésie. Car malencontreusement, parmi ceux qui ne s’intéressent pas à la poésie, beaucoup en écrivent ». Ennui qu’éprouveraient l’une face à l’autre, en chiens de faïence, la génération pour laquelle « les journées étaient dures comme la lecture était la lecture », et celles qui « se shootent à la TV et prennent le net en intraveineuse » ? Non : « « je ne dis pas qu’avant c’était mieux, après c’est très bien aussi (j’adore même !) ». Et le « point de jonction qui fait jeunes les vieux et vieux les jeunes est tout sauf introuvable ».
Poésie avec le bourdon qui ronronne dans le jardin, poésie avec Jeanne au restaurant, avec ses deux chattes Fifille et Maya, poésie avec Liliane au cours d’une promenade dans les rues de Lille et autour de leurs noms, poésie familière… casanière ? Non : ce n’est pas Guy Ferdinande qui écrira que « les voyages déforment la vieillesse ». Au contraire : les « clichés rapportés de (ses) pérégrinations » lui ont appris « qu’il ne nous est jamais autant donné de prendre conscience du peu de distance que nous entretenons avec notre propre culture que quand nous nous aventurons dans celle des autres ». D’où une « poésie sortie d’Iran » qui ne doit rien aux Lettres persanes où un Français parle à des Français, ironiquement certes, sous un angle exotique, mais sans renoncer au cocorico, ainsi Usbek écrit à Hassein, son ami derviche : « La connaissance de cinq ou six vérités a rendu leur philosophie pleine de miracles et leur a fait faire presque autant de prodiges et de merveilles que tout ce qu’on nous raconte de nos saints prophètes ». Guy Ferdinande, lui, prend vraiment distance. Relativisme culturel ? Relativité géographique, plutôt. Évitant la capitale, il s’enfonce dans un Iran profond, si profond que wikipedia ignore ses noms de provinces, de villes et de poètes. Un Iran aussi fictif que les « villes » d’un recueil de 1989, édité par la Maison Pnakotique ? S’y opposent une « bonne humeur hédoniste » et une tristesse rigoriste, ou du moins son apparence. Guy Ferdinande illustre ainsi « le sentiment d’hypocrisie que se plaisent à dire les Iraniens en parlant d’eux-mêmes », assumant « une face républicaine en apparence et une face théocratique en réalité, une face qui rentre dans l’ordre de la sphère publique et une face qui s’extériorise dans la sphère privée, une face voilée qui feint de dire oui et une face à demi-dévoilée qui s’emploie à ne pas se prendre les pieds dans le tapis ». La distance est soudain franchie : rien d’hypocrite ne saurait être étranger à la France des courtisans, de Tartuffe, de Julien Sorel, et du florissant commerce des armes.