TXT 32 le retour par François Huglo
Le retour. Pas celui par lequel un fantôme nous rappelle qu’il n’est pas si mort que ça. « D’ailleurs, elle n’existe pas » (la mort), disait Epicure, qu’actualise Éric Clémens : « La mort est rien donc elle existe pas (…) si j’y suis plus ça veut dire quoi (…) rien ne se perd tu parles sauf le temps le temps perdu la perte même (…) que faire si mort est rien que faire ou pas sinon vieillir rester là (…) pas de mort mais du mourir mourir est mon acharnement à courir garnement à en perdre la tête (…) garder le rythme (…) je suis mort existe pas mais j’existe oui ça oui je ne cesse pas de rester en vie ».
TXT pas mort, TXT garde le rythme. Les vingt-cinq ans qui séparent le numéro 32 du numéro 31 font craindre une ressemblance entre la retrouvaille des « garnements » fin 2017, et le « bal des masques », ceux du vieillissement qui rend méconnaissables les visages autour du narrateur du Temps retrouvé. Depuis « le joli mai à la suite duquel la revue fut créée », tout a changé autour de narra©teurs toujours liés sur une ligne non politique ou éditoriale, mais de tension entre « haine de la poésie » (la « lisse », l’ « empesée » l’ « impensée ») et « amour violent de la poésie » (la « poéticité matérielle », car c’est elle, et non « l’assertion », qui « fait le sens »). Tout a changé, ou « rien n’a changé qu’en pire. Toujours les intériorités émues, le troc des imageries, le vers libre standard, les métaphysiques rengorgées ». Une version française de l’objectivisme américain, semé de « caillouteux slogans politiques ». Des tics spectaculaires, des « gags de sit-com », de « jolis montages post-situationnistes », du « pathos révolutionnaire » accrochant « des clichés déclaratifs à la queue des actions politiques ». Voilà pour l’état des lieux, signé TXT.
La revue ne se relève pas comme Lazare, « le frère de Marthe et Marie » qui ont envoyé chercher Jésus, « le surfer de Tibériade ». Philippe Boutibonnes cite Beckett : « On n’en sort plus, de ce présent ». Où la « hyène abhorrée » qui « racle l’homme dans ce qu’il a de moins admirable » ne suspecte pas « la mort d’être une question ». Entre humoristes, on se comprend, et Bruno Fern cite Boutibonnes. Mais à la dérision du récit, il préfère ici celle de l’aphorisme : « Dieu fait son maximum sans en rajouter pour autant », ou : « Les mots fondent l’identité comme neige au soleil ». Retour au récit avec Typhaine Garnier pour un jeu « de docteur » entre peintre et modèle, avec Alain Frontier qui dispose les modèles autour du peintre en une « démonstration » où interviennent Courbet, Metsys, Rimbaud, Prigent, Blaine, Platon, Proust, des lycéens en grève et l’Escamoteurde Bosch dérobé par Action directe en décembre 1978, retrouvé deux mois plus tard. « Sonnets les Mâtines », de Christian Prigent, rythme et rime la pornographie sur le net, en français, franglais et anglais, marchands : « Be what you buy !—and bye / Bye : it’s time to die ! ».
Plutôt que la « nioque » pongienne, les oiseaux de Dominique Méens ont, en prose, « la gnaque de l’avant-printemps », suivis en vers par ceux de Jacques Demarcq, leur « sprechguézingue ». Une apparition, parmi les anciens : Khalid El Morabethi. « Je pense que je suis là pour rire (…) C’est le verbe. Je suis au début fait pour manger l’herbe ». Au coup de dés mallarméen, Pierre Le Pillouër-Rouletabille substitue le roulement de « la Sainte-Agathe » aux « vagues internes hors d’atteinte », roulement sous le divan de « saint Sigmund et sain Jacques sans T ». Comme elle, isolée sur sol cimenté, une fourmi « ne sait plus tourner qu’en rond ». Charles Pennequin, quelques pages plus loin : « Tout ce qui nous parle nous empêche d’avancer et nous fait tourner en rond en dedans de tout ce qui nous parle ». Titre de Pierre Le Pillouër : « et autres piétinements ». Où « désire » est l’anagramme de « réside ».
La conférence de Carême donnée à Notre-Dame de Paris par Valère Novarina le dimanche 18 mars pourrait être une (belle) homélie. C’est aussi une performance et une analyse, une lecture du signe de croix, ce « signe d’analphabète » qui trace « le revers de la mort » et « l’étoilement du sujet ». Il « sépare le vertical et l’horizontal, désigne notre corps et l’ouvre comme un livre », ouvre en lui « l’infini paysage paradoxal du christianisme ». Novarina cite Tertullien, Augustin, Marguerite Porete, Méliton de Sandes, Rupert de Deutz. « Caché dans le buisson des lettres », Dieu attend qui luttera avec lui.
Au « La mort n’existe pas » d’Éric Clémens, à son « apprendre à mourir non j’ai dit non trois fois non si oui apprendre à apprendre », succèdera le « Comme chacun de nous, j’écris pour raturer la mort » de Jean-François Bory, ratures où la lettre joue et danse avec l’image. Mais auparavant, Yoann Thommerel s’empare des bandes parallèles du drapeau tricolore pour mettre dans le bleu du pneu ou du peu, du beurre et des eux, dans le blanc du flan, du gland, du rang, du ment, dans le rouge du bouge et de la gouge, de la mouche et de la moule.
Les « phraguements » de Jean-Pierre Bobillot prolongent ses « antisèches ou Poème à continueR », qui prolongeaient l’ « Hommage à Pavlov » de Jean-François Bory. Si la mort est dans la vie et la vie dans la mort, il y a du lecteur dans l’auteur et de l’auteur dans le lecteur, on ne peut donc dire que « la mort de l’auteur est la naissance du lecteur ». Mais « y a-t-il une vie avant la mort ça c’est une vraie question ». Le vers-tige (paradigme) se déplace vers un « je pense » : « Je pense que ma mort & ma naissance sont précisément cet Impensable qui, valant la peine d’être pensé, fonde (& déborde) ma pensée (mapensée !) ».
La mort ? « Le Père Lachaise s’assied dessus ! », constate Jean-Pierre Verheggen, aussi imparable et « impeccable » que « Pierre Faux, cet "aphorismeur"wallon trop méconnu » qu’il salue et cite : « Il ne faut pas aller chercher des œufs à la ferme, quand il y a du verglas ». Pas de mot de la fin, mais « Les leTTres de la fin (eXtraits) » de Jacques Barbaut : Y de Joyce, V et W de Virginia Wolf, plus quelques papillons : Xylophanes amadis, Zeuzère du poirier… Jacques Barbaut assurait aussi la relecture du numéro, tandis que Jacques Demarcq s’occupait de l’édition et du graphisme. Applaudissements. Mais le rideau ne tombe pas. Rendez-vous est pris (avec Rabelais et Jarry) pour un numéro 33 au printemps 2019. Il « prendra la forme d’un almanach, avec conseils, recettes, pronostications, commentaires et chansons, cornegidouille ! ». Ni rideau, ni spectacle, même si « tout n’est que jeu et cases / tout est bille, tout s’habille » (Pierre Le Pillouër). Ni mythe baudruche, ni cliché démagogique. Vitamines et poil à gratter.
Tous les numéros sont consultables en ligne sur : revue-txt.blogsot.fr