Uzès ou nulle part de Corinne Hoex par René Noël

Les Parutions

02 nov.
2020

Uzès ou nulle part de Corinne Hoex par René Noël

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Uzès ou nulle part de Corinne Hoex

Sous les phrases, les mots

 

 

        La poésie n'est-elle pas l'art des éléments ? de la terre-air, de l'eau-feu ? sans pré, sans textes mêmes, il n'y a de plus grande liberté des lettres et des mots que lorsque les vocables perdent tous sens préétablis. La table d'orientation, le lecteur pense alors aux tables dessinées en haut des cols, la table des matières de Uzès ou nulle part, fait un sort littéralement aux phrases dites, soit défaillantes, exsangues, vides de toutes matières par trop-plein de tensions, de contenus, d'intentions, soit trop bien tenues par la peau d'un nous attendu, bien trop souvent prévisible dans ses actes quand il prend dans ses rets deux personnes et les laisse, bernard l'hermite qui sans préavis met de côté sa coquille, incrédules, incapables bien souvent de savoir si elles ont rêvé leurs complicités de la veille.

        La poésie n'aime rien mieux que l'amour entre deux personnes, car c'est là d'Arnaut Daniel à Durante Alighieri, de Pétrarque au Sable des Urnes et à la Rose de personne de Paul Celan que la poésie écrit dans la plus stricte précision, ne voyant dans l'inexplicable, l'imprévisible des ports amoureux que des avantages à faire du désir même le trait, la voix, le son et les rythmes du langage. Ainsi la table des matières détient-elle tous les octaves, les mineures, les basses, les placements de tons à partir desquels la poésie fait, crée les lignes de partage et les densités de contenus.

        Uzès, Avignon. Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Le lecteur entend passer en trombe Allégence du voisin de Pétrarque en contrebas de Fontaine de Vaucluse. C'est du vent, c'est à dire de tout qu'il s'agit. Les vers de Corinne Hoex ont cette exactitude et crissement du vent et du Bleu, ni plus ni moins que la foudre sur le ciel oragé fait entendre les usages des plaisirs et des désirs. Le mistral n'est-il pas l'espace du bleu à l'état de liberté illimitée sous toutes ses formes, ce serait le bleu, la couleur littéraire (Albiach) et délices-des-yeux (arnica guérisseur chez Celan), l'étendue des confins où l'air et l'eau, la psyché et la chair se mêlent sans regrets ni rétentions, où le soleil même devient ce qu'il n'imagine pas, fleur ?

        Parfois, je ferme les yeux, je suis à Uzès. Avec les remparts de pierres blanches. Les cyprès et les buis. Le crépitement des cigales. Le ciel bleu dans l'ogive d'un passage voûté. Le mistral dans ma robe. Un lézard qui détale.
Une rose sur sa haute tige d'épines résiste aux assauts du vent. Corinne Hoex traduit l'expérience amoureuse au-delà des conventions de l'absence figure, mathème, des ici et du tous deux réunis, malédiction bien trop souvent acquiescée en amont de toutes formes d'expérience, de la présence, ses poèmes exposant les emblèmes à blanc ainsi que le fragment cité ci-avant fait tinter, sonner les formes fondamentales, arbres, vent, ellipses, salamandre, la rose trémière rebelle et sauvage qui n'aime rien tant que pousser dans les lieux les plus rencognés, improbables.

       Une clarté que seuls le ciel, l'air, l'espace, les distances étirés, révoltés, rapprochés à la façon de Pierre Reverdy, autre méridional fameux qui a su faire table rase des héritages inamovibles plus que n'importe quel autre de nos contemporains pour ce qu'il en va de la langue française, ou de Nicolas de Staël en voyage en Sicile ou en Tunisie, à la suite de Paul Klee, posant sur la table des mises les moyens d'expérimenter les rythmes du continu et du discontinu, des heurts, des bons et mauvais heurts que si souvent les humains invoquent sans pouvoir supporter leurs éclairs, de la même façon que le mistral emporte tout sur son passage, un vrac d'éclats, de soleil et de froid galactique, les étoiles intactes passant les octrois et les pesanteurs réparties plus ou moins au petit bonheur, admettent, atteignent !

      Les phrases tenues dans la table des éléments, des matières, prennent en main les sédiments, la pensée et les sensations, tamis et treille vermeils qui jugent et jaugent, ne tremblent pas au moment de choisir les structures des formes, les mots et les rythmes des vers peignent ce corps où l'alchimie du nous, jamais préméditée,

        Pas ici. Pas là-bas.
        À l'envers de toi-même.
       Tes bras poussent leurs mains.
        Pas ici. Pas là-bas.
       Tu n'es au monde

               ................

les mots, créent, fixent des phasmes, phalanges de syllabes qui rapprochent les éléments, le bleu le vent, formes plastiques de la psyché et de la chair. Serons-nous demain encore passagers d'Uzès ? L'écrit permet à Corinne Hoex de déclarer un oui plus encore qu'à répondre à cette question, la poésie ayant ce don de créer de nouvelles approches des substances des mots, des sensations et de leurs constructions réciproques.

 

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