Art brut à La Fabuloserie par Christophe Stolowicki
La vérité défaisait les serments qui me méprenaient sur elle. Membres humains lovés entrelacés telle une ruée de serpents où le rouge et le turquoise font grand bon ménage sursaturant l’image (comme seule sait Myriam Chouraqui, née en 1930).
Le contraire de l’art abstrait n’est pas le figuratif mais l’art brut : l’autodidacte, l’inculte à culte toujours le même depuis Dieu le Père, et que le Saint-Esprit y veille.
Les nouveaux internés ne s’évertuent pas en Christ, à peu d’exceptions près, encore que plus fauteurs qu’auteurs d’un art brut de coffrage totomatique. Un soulier-navire parcouru de frontons de mer à balustres en travers longitudinal du visage, Thomas Boixo (début du siècle – 1976), ancien charpentier de marine, a vécu à l’hôpital d’Amiens les derniers 26 ans de sa vie.
Exception, et contraignant de réviser toute conception brute ou psychiatrique de l’art brut, d’accepter que se répondent de délicates aquarelles dont les strates et les asymétries sont celles du rêve profond que ni Balthus ni Dali n’ont montrées, et des poèmes réinventant l’anaphore en abyme, en cascade du sensible à l’intelligible (« Un signe entraîne un autre signe qui arrache un son qui fait trembler un petit souffle d’air qui éparpille des faisceaux de lignes qui s’enchevêtrent en figures qui s’écartent pour laisser passer des troupeaux de pointillés qui remontent jusqu’en haut de la feuille. Sans issue. »), Michèle Burles, née en 1944.
Des figures informes couturées d’Ignacio Carles-Tolra (1928 – 2019) émanent des laques lumineuses de fraîcheur enfantine aux premiers indices de leur évanescence, d’une inventivité précise de contraste que Matisse n’eût pas reniée dans son jazz.
Les demeures arachnéennes de Marie-Rose Lortet (née en 1945), que tricote dans l’ajour de fils blancs ou vivement colorés une ferveur, réinventent le territoire comme le Merzbau de Kurt Schwitters.
Jambes et bras dansant sur pointes, dansant en croix, dont quelques petites floraisons de gammées, de damnées, nées en Croatie, dans cette Mitteleuropa où même Cioran eut des débuts antisémites, bras levés non au ciel mais en croix, une couronne d’étoiles en guise d’épines, à angles aigus en une exultation géométrique qui rappelle Pierre Richard au siècle pénultième – Janko Domsic (1915 – 1983), lui aussi quasiment illettré, lui le revendiquant.
Mais la plupart des artistes exposés à La Fabuloserie, sur les contreforts de Montmartre, ont accompli leur œuvre sur le tard, retraités d’une vie humble, laborieuse, précaire, pendant laquelle elle mûrissait – terrifiés de reconnaissance pour Alain Bourbonnais (1925 – 1988) aux moustaches conquérantes qui venait leur acheter quelques tableaux regorgeant de couleurs et de fantasmes, parfois peints sur un fond de petits coquillages, ou quelques sculptures en matériaux la plupart récupérés de déchèteries, capsules, fils électriques, matière première le bois dont ses souches tordues, pour composer sa collection. Lui-même grand sculpteur d’icônes brutes grimaçantes, et en liaison permanente avec Jean Dubuffet (1901 – 1985), le collectionneur premier de cet art de génie autodidacte et thérapeutique, créateur du concept mais lui-même le peintre à périodes par excellence, tout en expérimentations, aussi peu brut que possible.
Oui, du fabuleux gît au sein des décharges où j’ai composé mes premiers poèmes, en quête de ces objets d’un luxe inouï que bientôt me révélerait Rimbaud.