LARGESSE par Christophe Stolowicki
Souvent mathématicienne, montée en abstraction pour accompagner les sciences de ses théories de la connaissance, la philosophie dans son Histoire se trouva bien embêtée quand les sciences l’eurent laissée de côté. Il lui eût fallu se recentrer sur ce qui est étymologiquement son objet, la pratique de la sagesse (non l’amour de Sophie), mais entre stoïcisme et scepticisme, épicurisme et sadianisme, encyclopédistes des lumières faute de preuves de l’existence de Dieu, et freudisme pour jouer un bon tour à la folie, son tour était passé. Ni les mathématiciens ni les cosmogonautes ni les éthologues contemporains n’ont besoin d’une critique de la raison pure ni frelatée. Ni les poètes qu’on leur démontre pourquoi le lyrisme (Derrida) ni pourquoi des poètes (Heidegger). Alors elle s’est rabattue, avec le succès que l’on sait. Les cafés philosophiques abondent, jusque sur les campus américains. Un philosophe de masse, Michel Onfray, lit Freud en aveugle. Les alphabétisés récents, les illettrés tendent la langue pour qu’y soit déposée par un rayon gamma l’hostie du savoir. Heureusement Platon, Leibnitz, Nietzsche demeurent, aussi grands que des poètes.
Les mathématiciens sont à présent aux scientifiques ce que sont les internistes aux spécialistes de l’hôpital : des généralistes, eux plutôt inspirants que coordinateurs. Les médecins, et moins encore les bricoleurs du génie chirurgical, n’ont pas besoin de philosophes.
D’un philosophe on attend largesse de vue.