PIALINODIE par Christian Désagulier

Les Incitations

14 sept.
2015

PIALINODIE par Christian Désagulier

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Poème-ouvert aux producteurs de France Musique (mais pas tous..)


Piano le prince le roi l’empereur
des instruments le dictateur
aux petites moustaches noires en série
à toutes heures de jour comme de nuit
quelle propagande pour lui
mettez-vous bien ma suprématie
dans la tête ce son de cloche
pour quels offices battues
à bras raccourcis d’office
presque pas d’heure sans piano
du piano pour piano
du piano pour orchestre
du piano pour piano pour piano
et comble du piano du piano pour guitare
pourquoi telle hégémonique occupation des ondes
comme le football occulte tous les sports
quand même les athlètes dans l'eau
ou bien sur le tartan font briller l'or ?
à l’exception peut-être des violons
lesquels tirent sur leur archet du jeu
vrombissent en grappe autour
de la carcasse du pétrifiant géant
éléphant dont les os sortent de la peau
aux réduites défenses débitées
en dents de lait cariées
et les symphonies sont des safaris
comment cet ange noir fait-il
pour envoûter les gardiens de salle
de concert immatérielle
pour forger la chaîne à pédales refondues
en anneaux de bronze vous les passe
par tous les trous des oreilles  un comble
quand ils passent au piano-broyeur
Bach Haendel Scarlatti et tutti quanti
suites et sonates pour clavecin
réduites en purée harmonique
que diriez-vous de servir du Chopin
détricotés à la pince à cordes ?
cela serait hérésie mais l'inverse
tous êtes prêts à vous prosterner
aux pieds à roulettes de la ricaneuse idole
pourquoi toujours la triade
Brahms Schuman allez Liszt
et si rarement Schubert le magicien
qui entre les noirs nuages les rivières
fait champignonner les bleus les verts
au lieu d'écraser comme font
les romanesques antiques
extrudent les âmes blettes
aux conduits auditifs
le plomb y verse
de la mélancolie qui asservit

A-t-on jamais vu un pianiste
donner un coup de main aux porteurs
payés pour se casser le dos à la place
et puis retournent à maison
écouter la radio fatigués
se mettent sous la table les pieds
quand un seul payé devant des milliers
d’yeux affamés le regardent se régaler ?
pourquoi les guitares, les flûtes
et tous les autres instruments de la famille
restent-ils enfermés dans le placard ?
quelles actes ont-ils commis
pour mériter telle punition
pas assez qui vous pose là
et pourquoi pas aux heures de Grande Ecoute
Cage Ferrari tant d'autres de notre temps
qui fabriquent d'énergiques réveils
des prothèses pour ce corbeau-manchot
pilote ce bolide freinent accélèrent
dans les droites et les courbes du temps
contrôlent tous les dérapages harmoniques
et même rentrent dans les décors
nous font rouler dans leurs tonneaux
dans leurs tonalités improbables
de l’audace encore et toujours
ça ira le piano du capital
des privilèges l’instrument privilégié
en ce qu’il offre le meilleure retour
sur investissement pensez
quel profit un seul travailleur à payer
et son agent de maîtrise organisateur
ce qui ne veut pas dire qu’il sait jouer de l’orgue
qui vous remplit une salle de concert à bondir
pour le même prix qu’une œuvre pour orchestre
cela fait des parts plus grosses
tant mieux pour les appuyeurs frénétiques
tant pis pour le triangle ou le premier violon
boursicoteurs misant le tout
au lieu de répartir leurs placements des doigts
en queue de pie et boutons de manchette

A quand de la guitare par exemple
qui doit se cacher pour passer
en fraude sous l’aile
de la chauve-souris paralytique
enfermée couchée dans le placard horizontal
quelle peine a-t-elle commise
sinon de ne pas être à cordes raides
que l’on frappe à coup de marteaux
j'aime bien quand Hölderlin coupe les cordes
du piano ou Cage
glisse des vis entre
font vaciller l’attristante idole
qui plonge dans les atermoiements
de complaisance dans la compassion
tandis que les levez-vous
chantez dansez embrassez qui vous voulez
doivent pour passer 3 minutes
à 7h33 du 3 au 33 juillet
se contorsionner entre les ondes
en passagères clandestines
comme ces candidats à l'émigration
dans la case du train d'atterrissage
des pianos à réaction
quand la puissance du monoplan
se mesure en décibel
selon qu'il a ou non sorti
son aileron de requin des airs
tandis qu'en decibelle et portatif
celui de la guitare de sauvetage
en cas de dépression où le pianiste
fait des ronds petit patapon
pour se poser en catastrophe
Pourquoi pas de la guitare
Des prolétaires l’instrument
la plus nombreuse évidemment
jusque dans l’espace en orbite
voisine des satellites qui relayent
la radio complice du piano lourd
tandis que guitare apesante apaise
au lieu de vous plonger la tête
dans le bouillon acoustique
à gros yeux mimétiques
vous embrouillent en forêt
qu’est-ce que je fais
quand on pense que de Berlioz
tous les opéras sont passés par elle
sur la branche de son manche
tous ses petits oiseaux et ses aigles
se sont posés dessus le vent
de ses symphonies a rafraîchi le promeneur
qui revient au village
après si long voyage
cela ne vous convainc-il pas ?

A quand de la guitare
sa remise en liberté souveraine
le partage équitable avec ses amies
à cordes pincées, frottées, frappées
gentiment jaméchamment
comme celui qui s’acharne à vous planter
des clous noirs dans la tête
et même après touchent arrachent
ces dents qui bougent
les saines comme les cariées
tapent dessus avec de petits marteaux
rembourrés de feutre Beuys
pour ne pas faire peur aux voisins
il n’a pour peut-être seul atout
d’être le plus facile à jouer
je connais un chat le mien
qui improvise des sonates
qui en remontreraient à Pierre Boulez
j’aime beaucoup les sonates de Boulez
et Berlioz et Wagner qui disaient
jouer de l’orchestre comme d’une guitare
et qui jouaient de la guitare comme d’un orchestre
et les œuvres pour piano de mes contemporains
de Ferrari aussi beaucoup et Glass et de Scelsi
les suites pour forte piano comme c’est beau
à quand le passage à la radio
de la guitare et ses flûtes amies
à embouchures à peaux que veux-tu
pour un équitable partage
flûte guitare c'est quoi le critère ?
"Ah, que le temps vienne,
Où les cœurs s'éprennent"