Poésie du vécu par Christophe Stolowicki
J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans auquel répond Voie lactée ô sœur lumineuse / Des blancs ruisseaux de Chanaan / Et des corps blancs des amoureuses auquel répond – Levez-vous ! nous dit-il alors en reprenant des verges, oui, levez vous et craignez-moi. Auquel répond François Villon de ses vers qui hérissent le derme. De répons en répons une poésie du vécu, d’âge gras en ingrat du passé a ourdi notre langue mieux que rondeaux et villanelles et grammairiens.
Mais Il est l’affection et le présent puisqu’il a fait la maison ouverte à l’hiver écumeux et à la rumeur de l’été. Mais dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Mais Il est l’amour, mesure parfaite et réinventée. Mais la vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c’est la littérature. Mais Extraction de la pierre de folie d’Alejandra Pizarnik. Une poésie du non-vécu, de l’invécu y répond, suspend ses ponts sur de plus limpides abysses peut-être. Une anthologie de fleurs plus vraies que l’ivraie répand à rebours ses parfums d’aubépine qu’effleure l’excrémentiel, l’extrême en ciel plus aigu que ne sont suaves chypre et vanille.
Mais si (à contresens) mon amour ne courait les rues de la ville et que chacun peut lui parler, les mots qui vont surgir sauraient-ils ce que nous ignorons d’eux ? Sans désir, vieil arbre à qui le plaisir sert d’engrais, tes branches verraient-elles le soleil d’aussi près ? S’il n’avait deviné l’énigme fameuse, Œdipe roi rejoindrait-il le devin Tirésias dans sa lumineuse nuit ?
Mais : si la mort n’existait pas, faudrait-il l’inventer ?