Un précurseur par Christophe Stolowicki
Non pas un siècle (VIIIème / VIIème) mais des années lumière séparent l’Odyssée de l’Iliade, dont le personnage emblématique est le quasi invincible Achille aux pieds agiles et à l’infime cervelle. Ulysse, le divin Odusseus éponyme, est un personnage autrement complexe de grand séducteur, d’humanité profonde, et si les dieux, les demi-dieux et le héros au grand cœur, aux mille ruses, trempé par les épreuves, à un chant ou chapitre d’intervalle séducteur de la nymphe Calypso dont il est las et de la chaste vierge Nausicaa qui le prendrait bien pour époux, lui qui contrairement à ses compagnons ne se laisse pas transformer en pourceau par la magicienne Circé, protégé d’Athéna aux yeux pers (γλαυκϖπις Αθηνη) qui admire son endurance et sa nature réfléchie, portent toujours leurs attributs rituels d’épopée comme des casques à aigrette – Ulysse est un Don Juan hellène, noble amant d’une Aphrodite pas encore pandémienne et à qui aucune femme ne peut faire oublier son foyer.
La poésie* qui émane en paroles ailées (επεα πτεροεντα) de cette mer houleuse et étincelante dont au chant VI une mouette sauve le héros d’un blanc éclair de sa divinité, n’a d’équivalent en aucune culture. Poème et roman, l’Odyssée est un ancêtre des Liaisons dangereuses sans leur perversité de composition, en autofiction le véritable Choderlos de Laclos, stratège sous les armes mais bon père de famille. L’admiration indéfectible des Grecs va moins au générique Homère auteur de l’Iliade qu’à son Homéride, aussi probablement un individu, immense poète et déjà romancier, que l’autre une théorie de rhapsodes, de collecteurs de légendes.
* Chants V et VI relus en livre de poche dans la traduction de Victor Bérard (1925), dont les alexandrins de prose parfois mâchés sont trop imprégnés en nous, comme Les mille et une nuits de Galland, pour qu’un rendu plus juste, respectant la prosodie grecque, puisse avant longtemps la remplacer.