Le livre est-il un objet d'art ? par Éric Houser
Un événement très parisien a ceci d’utile qu’il permet de mieux savoir ce qu’il ne faut pas être (« Il faut toujours ne pas être ce que l’on est, et être ce que l’on n’est pas », réplique culte d’un film culte de Jean-Pierre Mocky, Snobs), ce qu’il ne faut pas faire. Et il est intéressant d’observer l’Ennemi, pour le singer quand on est avec lui et tirer à boulets rouges dès qu’il a le dos tourné.
L’ex-librairie La Hune (angle boulevard Saint-Germain / rue Saint-Benoît), qui squatte désormais sur la place, dans les locaux de l’ex-Divan, a été reconvertie en une espèce d’espace (boutique Louis Vuitton, Espace éphémère « L’écriture est un voyage » - encore les sacs). Discrètement (mais passionnément) dédié aux livres (tous les livres qu’on aime, hein, sans exclusive), à la Littérature et à l’Art. Nous sommes à quelques centimètres du Flore (à gauche), des Deux Magots (à droite). L’assistance est très chic, j’allais dire hype mais vu la moyenne d’âge (102 ans), non, l’adjectif chic est plus adéquat. On est assis sur des fauteuils, des chaises, des micro-pliants Quechua. C’est à la bonne franquette (pourvu qu’on ait l’ivresse).
Laure Adler arrive. Elle est blonde maintenant, longs cheveux encadrant son pâle et encore beau visage. Super-pro de la com, elle cuisine gentiment Marie-Ange Guilleminot, sur son travail bien sûr : une boîte de bouquiniste, qui aura circulé dans divers hauts lieux de l’Art, dont la villa Savoye, et dont nous saurons tout dans les moindres détails ; un sac à main ou à dos fabriqué avec un collant opaque pour femme (deux nœuds, hop, et le tour est joué) ; des poupées exposées dans un sex-shop, chez mon boucher, chez mon boulanger ; quoi encore… je ne sais plus.
Le thème de la conversation était très attirant (Le livre est-il une œuvre d’art ?). Alas ! Marie-Ange, formidable d’humilité et de savoir-faire, lui a totalement ravi la vedette. La pauvre professeur en Sorbonne *, qui était censée lui donner la réplique, a été réduite à quia par nos deux commères, très en verve. Cela n’a du reste pas semblé la froisser plus que cela, et au fond, tenir la chandelle n’est pas si désagréable qu’on le croit.
Mais le meilleur, je le dis comme je le pense, a été lorsque Laure, dans un geste audacieux, a endossé l’un des sacs à dos / bas de Marie-Ange et a esquissé, ainsi parée et sous nos applaudissements, un court et élégant défilé. Les annales retiendront ce moment de pure grâce, que l’on pourrait sous-titrer, en manière d’allégorie, Les Noces de la Littérature et de l’Art (avec un grand L, avec un grand A).
* Anne Moeglin-Delcroix, spécialiste du livre d’artiste, vient de publier une somme sur ce sujet aux éditions Le Mot et le Reste.