19 juin
2011
Tout public d'Antoine Boute par Éric Houser
«Tu l'as lu, le livre de Boute ? Pas très (a)bouti non ? Ses historiettes, il se les raconte au dictaphone ou quoi ; c'est l'impro totale tu ne trouves pas ? (Qu'est-ce que tu en penses au fond ?)». À ces questions (malveillantes) qui n'en sont pas, dont m'assaille un double non-dupe et de triste humeur, je réponds : que je ne répondrai pas. Antoine Boute a écrit son livre, en effet, en mettant bout à bout des petites histoires, des historiettes du père Castor, mais ici ce n'est pas comme je l'ai lu quelque part «instant tendresse et moment câlin pour éloigner les peurs de la nuit». Quoique. Donc il y a des histoires, plus ou moins emboîtées, qui convergent vers (explosent dans) un banquet (bouquet) final qui doit assez peu au dialogue éponyme. Quoique. Ces histoires, elles me font penser de loin à la série Happy Tree Friends, des petits dessins animés qui commencent tout gentiment et se terminent toujours trash / gore (on peut les voir sur site). Boute, l'emboîtant, est porté je dirais par un enthousiasme oral, très communicatif (que l'on retrouve dans ses performances, mais c'est peut-être leur souvenir qui me fait le retrouver dans son texte). Et c'est cet enthousiasme, à mon avis, synonyme de rapidité, de course à l'objet évanescent du désir, de course trébuchante filant sans repentir, qui imprime au texte son côté «bouté» (de bouter, verbe du premier groupe qui signifie pousser - du côté d'un mouvement, d'une avance). Alors bien sûr, excuse-moi Antoine pour cette remarque teinté de culturalisme, nous Français (je dis nous, pas je) on adhère réticemment, comme du bout des lèvres, à une écriture qui..., à une écriture que..., bref à un art qui a l'air comme ça un peu art brut, mal dégrossi (un côté basse culture - le tout public revendiqué du titre -, «slam» si l'on veut). C'est qu'on l'aime, la contention du style, le frisé du stylet phrasant. Mais ce faisant, on perd il me semble quelque chose qui est comme la charge érotique de l'écriture, qui est ici pour reprendre la célèbre opposition barthésienne (dans Le plaisir du texte) plus du côté de la jouissance que du côté du plaisir, c'est-à-dire plus de la perte subjective que d'une fonction régulatrice. Et qui est au fond le motif du livre, sa recherche. C'est tout à fait explicite dans Le banquet, déjà cité. Il y a dans ce livre, c'est notable, quelque chose de la décharge orgasmique, et la métaphore qui me vient car elle court tout le long, c'est celle de l'éjaculation (il y a d'ailleurs une homophonie entre le jacuzzi, dont se formule la «théorie», en épilogue, et l'éjaculation) : les dessins pornolettristes qui émaillent et concluent le texte final peuvent être vus comme des éjaculations graphiques. C'est, ainsi, la poursuite acharnée d'une forme, jusqu'à la jouissance hors-sens, qui à l'égal d'autres textes modernes et contemporains (n'ai-je pas lu qu'Antoine Boute avait rédigé quelque chose sur Guyotat ?) anime le pro-jet de cette écriture. «Au fond, il y a la forme», disait Christian Dotremont dont j'imagine qu'avec AB ils se sont croisés dans la forêt de Tervuren (le premier y naquit, où le second réside). L'inventeur du logogramme et le thuriféraire du pornolettrisme, je les vois se faire signe à travers les arbres.