L'air de rin de Bruno Fern par François Huglo
Boum ! c’est Bruno Fern « en Ferdinand Griffon alias Pierrot le Fou » selon le préfacier Jean-Pierre Verheggen, qui vient « dynamiter l’décor » ! Comme Bebel, Bruno « a le jeu de mots plus populo que lacanien ». Les bâtons de « dynamythe » qui le couronnent (« c’est bibi qui est ici mis en pièces ») sont 132 variations sur un air de Mallarmé et 66 sur un air de Guillaume d’Aquitaine. Sur des paroles ? Des lyrics ? Non, un air. Un vers devenu rengaine, un vrai tube, qu’on redoute comme une scie reine : « Aboli bibelot d’inanité sonore », puis « Ferai vers de pur néant (de dreit nien) ». Même si, comme le rappelle Verheggen, Guillaume d’Aquitaine n’a rien à voir avec le prince « à la tour abolie » d’un poème de Nerval, le titre de Bruno Fern peut rappeler un autre sonnet du même : « Il est un air pour qui je donnerais… ». C’est bien l’air qui nous mène en château. Les paroles, le sens, s’évaporent dans le « peut-être », sillage laissé par la châtelaine entrevue. La variation 3, En illimité, constate cette fuite du sens entre évanescence et réminiscence : « A beau lire le poème s’épaissit en rapport ». Et une variation ajoutée par Verheggen (qui se prend au jeu) pour dire l’insistance de ces airs qui nous poursuivent, « Hallali et taïaut d’sonorités du cor », peut nous rappeler (Boum ! C’est le Fou chantant) l’identité établie entre « air » et « poème » dans « le cor » d’un Trenet soufflant dans un vers de Vigny : « J’aime, j’aime cet air là / Ce poème qui fait ma joie / (…) : J’aime le corps du son / J’aime le sort du con le soir au fond de moi ». C’est que la rengaine a quelque chose d’idiot. D’où la haine vouée à la musique (sauf la savante ? Mais L’air de rin, ce n’est pas L’Or du Rhin) par quelques farouches gardiens du Sens. Moins bégueule, la foule chante (Trenet encore) « un peu distraite en ignorant le nom d’l’auteur », et quand « elle est à court d’idées », elle « fait la la la la la la / La la la la la la ». La foule ou, comme dit Mallarmé, la « tribu » : « 86- Aux mots de la tribu. À régime unico préféré l’omnivore ».
Tant pis pour le « sens plus pur ». Tant pis pour le « 29-Haut lyrique Ah ! Beau liant, belle eau sans impuretés, faux ors ! ». Tant pis pour le « 108-Récital poétique Assoupit sirupo-éthéré-déodore ». Virtuose de l’ana(r)co luth(e), Bruno Fern accueille « l’hétérogène pur » (Jean-François Lyotard) « où nous sommes tous quelque peu empêtrés en continu ». Le « pur néant », oui Guillaume d’Aquitaine, mais 0+1=1 : le néant, plus le vers qu’il en tire, qu’il en fait, qu’il en feint, fainéant ou feignant : « 13-Comédien Feindrai de faire tout en faisant ». Ou, comme disait l’un des vers les plus mallarméens de Baudelaire : « O charme d’un néant follement attifé ». Pas étonnant que Bruno Fern peigne (fin : « 85-Liens (autotélisme 7) A partie fine au dodécaphonicophore ») le comte de Poitiers et celui que Leconte de Lisle traitait de « sphinx des Batignolles » dans le même recueil d’aphorismes. On leur trouvera parfois un petit air Cioran : « 87-Originel A produit un défaut – exister, c’est son tort », ou : « 125-Dans le contrat Aporie : né nouveau pour clamser –t’es d’accord ? ». 0+1-1 = 0. « 45-Nihiliste A béni le chaos, exagéré à tort ».
Un air d’Ecclésiaste mâtiné de Lichtenberg ? Vanité de la « 39-Logique Formerai des paires avec des gants ». Vanité de l’ « 26-Esprit pratique Flanquerai la mer dans l’océan ». Un petit air La Bruyère ? Mais des Caractères dessinés par Reiser : « 9-Conservateur A patrie, proprio, d’identité s’honore ». Ou : « 32-Occidental moyen : Avachi top chrono sécurisé indoor ». Ou : « 35-Politique d’intégration Aborigène ethno-labellisé afnor ». Ou : « 37-Conformiste A promis au cabot de l’appeler Azor ». Ou : « 58-Sécuritaire Fliquerai un ver même pas luisant ». À rapprocher de : « 18-Discrimination positive Fliquerai Kader mais pas Vincent ». Fern nous oriente vers d’autres affinités : « 101-Dédicaces À Sophie V. Lou O Lili Juliette et Laure ». Ou : « 117-1ère liste À Cros Prigent Rimbaud Baruch et Féodor ». Ou : « 128-2ème liste À Corbière à Artaud aux pendus haut les corps ».
Pas atrabilaire, plutôt « mélancomique » selon Verheggen, il constate, amusé : « 17-Le temps Aplanit les lolos, racornit les pectors ». Ou : « 55-Veinard A bibi à l’hosto vue du côté du port ». Sans rancune, son « 61-Suicidaire » promet : « Fêterai (c’est clair) mon enterrement ». Il dansera, même si « 20-Empoté Fâcherai Astaire juste en dansant ». Il chantera. Tout pour la musique. Parce que c’est absurde.