Les corps caverneux de Laure Gauthier par François Huglo

Les Parutions

21 janv.
2022

Les corps caverneux de Laure Gauthier par François Huglo

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Les corps caverneux de Laure Gauthier

 

              Rythmées  comme par une basse obstinée par une opposition entre vide et plein, entre dedans et surface, ces variations sur le thème qu’indique le titre apparaissent comme des dérives : chacune des sept sections joue sa partie, mène son aventure à part :  Rodez blues, Les corps cav, Qua País (stances à l’adolescence), La chambre et l’abeille (ehpad-mélodie), Une rhapsodie pour qui ?, La forêt blanche, Désir de nuages. Suite, au sens musical (suite de danses) ?

 

            Poumons et cœur, colonne d’air et vaisseaux sanguins, le corps est caverneux. Ses plis enveloppent les flux qui le renouvellent à chaque instant, assurent la turgidité de ses tissus comme la sève celle des végétaux. Toute voix, toute artère ou veine, est caverneuse. Mais il ne s’agit pas de cela, ou pas directement. Le programme intime du recueil semble énoncé par Denis Roche : « recherche invétérée d’un manque, d’une réalité qu’on sent comme manque. Et cette appréhension continue communique à l’écriture par des pulsions exagérées difficiles à garder ainsi sans les amplifier, les déformer, les litaniser ». Cette citation extraite de La poésie est inadmissible est absorbée, transformée, incorporée par Laure Gauthier, devient son texte : « le trou de ces mots qui manquent jamais cOmblé, ce trOu / qui effrite la rencontre des cOrps / les recueillir les amplifier les déformer les litaniser ». Combler le trou jusqu’à la (grande) surface, tel est le projet que Debord qualifiait de spectaculaire marchand. Laure Gauthier oppose l’ « espace d’exposition », l’ « espace artaud » par exemple, où « on te le balise, te le sécurise, te le rentabilise, le rock-à-billyse », à celui de la lecture, creux, vide, et par cela même vivant, vivifiant. « L’être a besoin de sépulture mais retenir / ne veut pas dire seulement se remémorer ». Au projet marchand, elle oppose celui de Pieds nus sur la terre sacrée, qu’elle ne cite qu’implicitement : « dansons pieds nus sur la terre grasse (…) / Garder le courant d’air en nous / À la force du poignet / Les empêcher de nous combler / Sois clairière toi-même, dit le clochard du monde », sourd au « chœur des influenceurs ». Rien ne nous comblera, car « depuis les cavernes, on n’a pas trouvé de réponse » à la question « mais que veux-tu ? ». Bien qu’on nous ait « ligaturé les mots communs », nous espérons toujours « une voix qui ne remplit pas nos trous à l’hélium ». Mais les vitrines qui te montrent « ce qu’il faut acheter pour combler les trous » (« on a tout mis dans la galerie », « il y en a pour tous les trous ») ne font que refléter « ta propre tête / c’est le selfie intégré la vitrine ! ». Et « le selfie est l’aggravation du poème romantique, / le moi confit ».

 

            Le corps « momie tenue par (des) bandelettes » ignore le bruit du corps caverneux : « ces bandes-son qu’on a ingurgitées au cinéma avant même d’éprouver un corps étranger qui bruit. D’en savoir les cavités, les aspérités, les sources ». Il faut « descendre dans une grotte de sons » pour « deviner le chemin aux seuls sons étouffés ou pleins / Et la lourdeur de l’air sous les cils / la musique est ce qui bouge alors / sous la peau », et « garde en mémoire un chant dans la grotte qui refait surface », retourne le corps caverneux. Musique viscérale : « Des notes venant de moi qui tombaient dessous le foie ou étaient-ce les poumons, de cet échauffement soudain, de ce qui est sous la peau.  Les organes photocopiés en noir et blanc en cours de sciences naturelles en 3e se manifestaient. Il n’y avait donc pas seulement un malheur de tréfonds mais aussi des joies organiques. La circulation, des images, de la pensée, du sang, soudain ».

 

            L’initiation sexuelle, pour des « corps à demi poilus qui ne sentaient pas encore fort », reste « comme dans les livres et les bandes dessinées on touchait des personnes sous des corps dont nous ne percions pas les mystères ». Ce sont « de ces trocs de liquides un peu trop froids dans des gestes un peu trop chauds (…) on embrassait tous les manques, mais le baiser passé, rien ne marchait ». Mais ce qui « a caressé très profond en toi » ouvre « un territoire qui n’existe / que sous la peau, / sous les mots / concave ». Comme « les Cro-Magnon » et « les spéléologues modernes », on ressent « l’impression de pénétrer dans un monde différent de celui de la surface, un monde n’obéissant pas aux mêmes règles, dans lequel le temps s’écoulait plus lentement » (Gwen Rigal, Le temps sacré des cavernes).

 

            Il ne faut pas confondre « nuage du désir » et « désir de nuages ». Car « un nuage n’est paisible que du dehors ». Dedans, c’est « tumulte désordonné », entraille dans l’entaille, où « ielle » fait son miel. « Dedans les gros grêlons, je gicle sur tes seins je coule sur ton pieu (…) je tiens tous mes doigts dans tout toi et là un éclair nuage-nuage, un éclair inter-nuage à la même hauteur, lumière et aussi le son ». Mais « que restera-t-il une fois l’orage passé, la nuit le vide après l’humide » ?

 

            L’orage fait des éclairs avec des grêlons comme l’homme du feu avec des silex. Gilles Suzanne parlait de « spéléopoésie » à propos de La cinquième feuille où Julien Blaine associait la vulve à « la feuille, la plume, le poisson, l’œil », pour voir en elle « l’une des origines de l’écriture », en « une histoire des cultures animistes ». La « faille » (presque la feuille), l’œil, la vulve, l’O et le V dans le texte de Laure Gauthier, écrivent cette histoire au présent : « et si je tiens ta Faille dans trois de mes doigts, je vois tes cils entrOuverts qui me disent où tu penses et je sais que tu coules par l’œil et la Vulve d’Or délicate glace éclatante habiter l’intérieur de ce désir de nuage composé de cristaux lumineux de glace ». Pas « là-bas » mais au creux de l’ici-bas, d’autant plus « merveilleux » nuages !

 

 

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