Poésie-frappa, revue en ligne par François Huglo
Peut-être à cause des cagoules, la couverture, signée Stéphane Batsal et A.C. Hello, de ce premier numéro de la nouvelle revue numérique http://www.poesie-frappa.com/#revue-frappa-poesie-contemporaine pourrait rappeler « Armée noire », le blog de Charles Pennequin, mais au fil de la lecture on songe plutôt à deux textes récemment mis en ligne sur ce site-ci, et qui se rejoignent : Pourquoi l’extrême gauche ne lit-elle pas de littérature ? par Nathalie Quintane, et L’art n’est-il qu’un produit de luxe ? (pétition).
Dès la première vidéo, de Batsal elle aussi, avec Fabienne Rocher et André Rocher (front gauche de l’art, octobre 2006), « Défaut de paraître », s’impose un ton parodique-critique sautant par-dessus la barrière qui sépare ce qui est de la littérature de ce qui « n’en est pas ». Littérature contre idéologie ? Oui, mais les bras plongés dedans, pour la sortir, la montrer, la déployer, tendue entre les pinces à linge de l’humour, de l’ironie, de la dérision. Ainsi, sur l’écran, superposés à un visage féminin attentif, semble-t-il, à un écran dont nous occuperions la place, peut-on lire ces mots extraits du texte que nous entendons : artiste, projet, candidat, dossier, visuels, commandés, découvrir la structure d’accueil, résidence d’artiste, l’esprit du lieu, adapter nos propres problématiques, série d’adaptations, exigence conceptuelle, les problématiques sociales les plus actuelles, art contemporain le plus actuel, une spontanéité admirablement managée, réflexion sur l’identité, le spectateur est nu, le spectateur est venu, le spectateur est intervenu, spectacteur. Comment mieux dire et mieux montrer la collusion entre le culturel et le marchand ? Les « trois suicides » (en audio) le disent aussi bien : « la police me dit qu’il faut présenter le suicide de Bruno comme un spectacle », et « tu peux te tuer, tu peux aussi ne pas te tuer, reste dans ta honte et n’en sors pas ».
Le film-tract du front gauche de l’art « l’avaleur travail », réalisé par Stéphane Batsal en mai 2007, superpose la parole de l’artiste à celle d’un ouvrier tourneur : « Notre domaine n’est pas seulement l’art, les centres d’art, et les mots d’ordre d’un État (…). Nous n’avons aucun statut et nous n’en voulons pas ». Plutôt revendiquer les mots « prolétariat » et « ouvriers » dont la disparition n’a rien d’une mort naturelle, tiendrait plutôt du crime crapuleux.
Paroxystiquement parodique et critique, le texte d’Antoine Boute « post porn flake fucking »-« un peu de pub pour un projet que je mets en place en ce moment qui est une thérapie de groupe une thérapie de groupe pour bagnoles »- est illustré par une vidéo, « Opération Perte Totale », où le texte dit par Boute, avec des sons pouvant rappeler la guimbarde, le chant diphonique mongol, et la pornographie, est mimé et dansé en plein air par Madely Schott.
Si la réflexion de Fanny Torres, dans « Ta Pragmata », est d’ordre linguistique, Jérôme Bertin propose « un truc sur le foot », Éléonore Lebidois un carnet de dessins, « Trou » & « Plusieurs têtes », « Faces of madness », Jean-Michel Espitallier des petites annonces où se télescopent les faits divers et le marché de l’emploi, l’immobilier et le funéraire, Ivar Ch’Vavar deux hétéronymes, autant dire deux héroïnes, Sandrine Bachelet et Penthésilée Ferreira, de son épopée à la fois poétique et romanesque, Martin Gosset un texte s’inscrivant comme sur un téléscripteur, « Reuter », citons encore Sébastien Lespinasse, Cédric Demangeot… Une conclusion ? Évidemment provisoire, puisque le premier numéro papier sortira en septembre 2015, réunissant et triant tous les contenus accumulés en ligne pendant l’année. C’est donc pour le plaisir que je la choisirais dans « Sur la route 8 » de Lucien Suel, qui succède à « Sur la route 6 » : entre une photo de paysage et un portrait, une série d’instantanés sous forme de textes, de biographèmes. Puisqu’il faut bien conclure, donc : « Promesses de Prométhée et développement durable sont les deux faces de la même fausse monnaie ». Voilà une chute qui devrait rebondir !